vendredi 12 juin 2020

que vaut une vie dépourvue d'aventure


12 août

Cinquième jour

Que vaut une vie dépourvue d’aventure ? Qui ne soit, au moins parfois, aventureuse ? Au syndicat d’initiative on annonce des averses violentes et irrégulières toute la journée, tu inspectes le ciel qui ne tombe pas encore. Menace. À l’abri tu laisses passer une, deux, trois averses. À cinq ton grand-père s’engageait sur la nationale, même si une sixième voiture approchait dangereusement. La quatrième averse te rattrape dans une forêt de pins, tu regardes défiler un tapis d’aiguilles. Tu regardes la pluie serrée, oblique, et l’éclaircie se former entre les nuages. Les pins partagent à deux ou trois un même tronc depuis des décennies et s’en portent fort bien. Quelle audace ! Quelle assurance. La veille tu as entendu un cri épouvantable, répété, comme un arrachement ptoléméen de gorge, et tu n’as su s’il provenait d’un chien, d’un oiseau ou d’un monstre sanguinaire ayant humé l’odeur de ton sang. Cette fois tu passes sous le vent d’un patou, te croyant plus malin que lui – bien que tu n’aies pas prévu d’égorger un mouton. Tu disposes de cinq sens afin de te sentir exister. Une minute de la vie d’une marmota marmota est sûrement plus intense qu’une journée d’homo economicus. Mais il te manquait encore le froid, la faim, pour ressentir, depuis que tu t’es extrait de ton confort, que tu existes. Voilà, c’est maintenant, aux dernières lueurs du jour, un cadeau des dieux – le ciel ! quand il n’y a plus que toi dans la montagne. Et tous les humains alentours, confinés dans leurs refuges. Tu es frigorifié, détrempé, affamé – heureux. Seul – Mais viens ! Viens si tu veux, être heureuse avec moi. Non ? Ça ne te dit rien ? Évidemment tu es immortel. Ta conscience. Le privilège époustouflant de vivre dans ce corps sur cette Terre ! Ta conscience ne vient pas du néant et ne disparaîtra pas. Quand tu te réincarneras ce sera probablement sur une autre planète – celle-ci ne donnant plus trop envie d’y naître – mais assurément !  Et vous aussi, que j’aime, que j’ai aimées, vous et vos splendides singularités ne sauriez mourir. Cette aventure est prodigieuse.