samedi 20 juin 2020

tout fait sens et tu ne sais plus trop qui tu es

20 août
Jour 13


Tout fait sens et tu ne sais plus trop qui tu es. À qui sont ces chaussures à tes pieds, au marcheur empressé de gratter quelques centimètres d’allonge ou au danseur si pointu qu’il touche tout juste le sol ? Et lequel des deux est Binh-Dû ? Ça vasouille, arrive un faire-part de décès et tu refuses de t'extasier devant le nombre de petits-enfants et d’arrière-petits-enfants. Et tu négliges de prendre en compte ce que représente pour ta mère la perte d’un premier amour, la clôture de six décennies de compagnonnage, même distant. As-tu assez remercié pour l’amour donné ? As-tu assez remercié pour le lapin à la moutarde et aux patates ? As-tu assez remercié pour l’obstination de dévotion, les actes d’amour que tu ne demandais pas ?

La route sinue dans les gorges qui se resserrent, le soleil descend en plein dans tes yeux. Tu portes des lunettes pour endiguer le flot. Est-il à ce point inassouvi, ton besoin de consolation ? Comment supporter le lot d’une vie – non pas la sienne propre mais celle de ceux qu’on a aimés et qui vieillissent, c’était cela, tout ce temps, les plaisirs, l’abandon des plaisirs, la douleur – et c’est inexorable, tous emportés ? Si tu cherches l’aventure, essaie la condition d’orphelin, dans l’ordre tardif des choses : rupture d’habitude, vertige du haut de pile, manque béant. Compassion désolée. La route t’éloigne dans la vulnérabilité d’un paysage inconnu. L’empathie d’un Binh-Dû s’effondre dans le regret de ce qui fut.