Il s’agirait d’être intelligent autant que non-violent. De se mordre le « tu » dans la bouche, au premier tour de langue, de garder sa science par devers, comme une masure nichée sur l’ubac. Ou mieux, de parvenir à la transférer sur les terres du « je », à la lumière. Dans un tunnel végétal, les papillons blancs s’égaillent.
Vieilles âmes fragiles, leur message incite ou met en garde, comment savoir ? Plus haut dans les collines toute une maisonnée fait vibrer les enceintes d’une musique auto-tunée. Effet de la ligne à haute tension qui passe juste au-dessus et détraque le métabolisme des vaches et des cochons ? Ces hommes soulèvent la poussière des pistes carrossables.
Toujours fuir. On annonce trente-huit degrés pour le surlendemain et le jour d’après. Rien ne servira d’être intelligent, si ce n’est pour garantir sa survie. Grenouille dans sa casserole, être violent se révélera plus que jamais un dérisoire acte de révolte. Les tomates grilleront sur plant. Les haricots vireront au violet.
mardi 31 juillet 2018
lundi 30 juillet 2018
30 juillet
La douleur réveille, la culpabilisation écrase, la peur tasse. Débrouille-toi avec ça. Débrouillez-vous, frères humains. Dans un repli de vallons mortifiés de chaleur, où la végétation a depuis longtemps changé sa sève en huile, où les buis prématurément roussis annoncent la tabula rasa d’un prochain raz-de-marée nucléaire, subsistent les vestiges d’un chemin monacal. Ils déambulaient aux quatre coins d’un cloître écroulé, comme marchant sur l’eau. Aujourd’hui dans les communs on dresse des assiettes pour touristes en bermudas, l’araignée est ce morceau du porc situé près de l’aine, explique la serveuse tatouée en désignant son propre sexe. Mauvais coucheur ! Ingrat !
Le sang demeure un argument. Nous serions si seuls dans l’univers, face à notre mort, face à la vie aussi. Le sang et ses affluents. Toutes ces attentions que nous déployons pour nos proches et dont sera exclu le cochon. La gratitude générée. Oui, il y avait là une cellule, un tissu conjonctif de loyautés, de preuves et de souvenirs, à délimiter son chemin de prière, à laisser éclore l’amour plutôt que le dédain. À remercier. Il fait grand jour encore tandis que bascule le soleil. Tout va bien. Le sang ne nous est pas sorti des oreilles par osmose, appelé par des trente-sept degrés à l’ombre. La nuit progresse pourtant, redoublant l’obscurité des bois. Tout ira bien.
Le sang demeure un argument. Nous serions si seuls dans l’univers, face à notre mort, face à la vie aussi. Le sang et ses affluents. Toutes ces attentions que nous déployons pour nos proches et dont sera exclu le cochon. La gratitude générée. Oui, il y avait là une cellule, un tissu conjonctif de loyautés, de preuves et de souvenirs, à délimiter son chemin de prière, à laisser éclore l’amour plutôt que le dédain. À remercier. Il fait grand jour encore tandis que bascule le soleil. Tout va bien. Le sang ne nous est pas sorti des oreilles par osmose, appelé par des trente-sept degrés à l’ombre. La nuit progresse pourtant, redoublant l’obscurité des bois. Tout ira bien.
dimanche 29 juillet 2018
29 juillet
Il fait chaud à ne plus le tolérer, quitter ces contrées, ne pas attendre ici que les courbes statistiques atteignent la température intérieure du corps humain. Un jour, on arriverait au bord du monde et alors il ne resterait plus qu’à sauter en espérant atterrir sur une planète intacte. En attendant on reste, et les après-midis on dépose sur l’oreiller un peu de bave paradoxale. Mais aucune trace de rêve n’imprime le creux de l’oreiller. Sont-ils partis devant, avant même le sommeil ? Le corps est égoïste et neutre alors qu’on s’en extrait (du corps, s’entend), n’importe qui ferait l’affaire ou presque, même l’idée d’une personne un peu connue ou largement inconnue. Tout de même, rêver est d’un autre niveau ! Avec l’apparition des étoiles, la chaleur s’atténue, deux ombres compactes traversent le chemin. C’est donc qu’il se trouve toujours des tubercules à exhumer d’un hochement du groin. Binh-Dû s’accorde un temps d’immobilité prudente, craquetant telle une macrocigale de l’espace, avant de suivre la flèche fuyante allumée dans le ciel, en direction du clocher du village où sonne l’heure, imperturbablement.
samedi 28 juillet 2018
28 juillet
Voler à quelques centimètres au-dessus du sol est un gage de vulnérabilité, félicite-t-on Binh-Dû. point n'est besoin d'être un aigle surplombant les pics enneigés.
Les parfums restent cantonnés à l’extérieur des rêves, seul le sentiment s’en infléchit. Ne plus toucher terre est un cauchemar potentiel, un reproche, un vertige inquiétant.
Et si nous avions le choix, vanterions-nous toujours les vertus vulnérables ? Nous avons le choix et nous tuons des animaux. Nous avons le choix et nous dédaignons le flamboiement des nuages attestant du mouvement cosmique.
Sur la langue persiste le goût des mûres, même après qu'ont été sucées jusqu'à l'endocarpe leurs drupéoles. L'ivresse du fruit tend à la course, bras déployés, en prise d'élan.
Les sangliers ont migré vers d’autres collines, au milieu des vignes le portable émet et reçoit des ondes inaudibles. Binh-Dû est incapable de voir ce qui se passe hors de son champ vibratoire.
vendredi 27 juillet 2018
27 juillet
Pour rencontrer une personne de connaissance il suffirait de s’en remettre
au hasard, marcher dans les rues d’une ville théâtralisée l’été. Ou non. Déjà
bien beau si l’on arrive à se repérer entre les siècles superposés sans avoir besoin de demander l'heure. Le
pont écroulé au mitan du fleuve attire inexorablement les promeneurs.
Demi-tour obligatoire, les pas
mènent ensuite à l’impasse du musée, au bout du parvis papal. Depuis les
salles, par les fenêtres, on aperçoit encore le fleuve, une autre forteresse,
sans doute des arbres surplombant un jardin où une chanteuse aux pieds nus
inspecte ses plantations, accompagnée de ses enfants.
A l’intérieur, les gardiens
sourient davantage que les vierges de miséricorde. Tant d’affliction sous les
dorures. Le temps long commence à se hâter, car dans un café non loin s’attable
auprès de sa grand-mère un jeune homme barbu, qui fut un enfant intimidé par
son oncle avant d’être perdu de vue durant une quinzaine d’années.
Sa bonne amie est encore plus
jeune et ses ongles sont rouges comme la douceur et la joie, s’il te plaît, ne
me vouvoie pas ! supplie l’oncle. Ils sont beaux. Les
croiser dans une autre ville, à des milliers de
kilomètres d’ici, doit toujours être un heureux hasard. Ou un souvenir imprécis.
Car l’histoire initiée se
perpétue, tel le don d’une bague ayant appartenu à
l’arrière-arrière-grand-mère. Hors du café, la question revient de l’autosuffisance.
Des cases ont été cochées, mourir maintenant serait moins désolant. Le manque a
été élevé au rang de la joie. Mais qu’en est-il du désir démarqué du
besoin ?
[merci toujours et
encore à Camille]
jeudi 26 juillet 2018
26 juillet
Binh-Dû se dit parfois qu’il est maudit. Mais Binh-Dû sait qu’il est le protégé béni des dieux. Et il sait qu’il vaut mieux savoir que se dire. Plus précisément, que la connaissance prime le récit. L’amour entre deux êtres prime à peu près tout. (L’à peu près n’étant qu’une marge de manœuvre comme pencher le visage du côté droit plutôt que gauche, descendre un bras par ci, remonter l’autre par là ; ou plus conceptuellement une concession minime faite à la prudence, contre la flamboyante exaltation des sentiments.) Sous la voûte du pont, le chant de la flûte s’harmonise avec celui de la rivière. Et sur le plateau aride ouvert aux vents (n’étaient les rangées de châtaigniers), les abeilles affairées contournent les intrus de passage, tout est à sa place, transitoire, mémorable, immédiat. Même les adieux sourient à l’avenir autant qu’au passé, apportant au moment une densité confiante. La ville peut bien étaler sa laideur, les voitures s’agréger en une file inepte. La maison familiale peut bien offrir un havre joyeux de retrouvailles. Et les vignes familières redessiner leurs courbes. Binh-Dû se dit parfois qu’il est chanceux.
mercredi 25 juillet 2018
25 juillet
Oublie aussi l’énigme de la singulière complexité, n’oublie pas d’avancer. Binh-Dû gravit à rebours le sentier qui le mène aux randonneuses, la blonde et la brune, dont l’une a assuré la veille : « On est heureuse que tu viennes ». Ils se retrouvent idéalement, au point culminant. Ensemble ils descendent la montagne, froissant une feuille rêche entre deux doigts sans parvenir à déterminer le nom de l’arbre. À l’abord du village minéral, le parfum des patates sautées ne laisse aucun doute. Dans le chœur de la chapelle aux motifs de grès rouge le son de la flûte peul s’élève. De même un cri à l’instant de plonger dans la marmite du diable. De même les gouttes d’eau perlant sur la peau, absorbées par le dernier rayon de soleil, happé sur la pointe des pieds. Oui, c’est ici le paradis. Les étoiles clignotent au milieu d’écharpes nuageuses fines comme la voie lactée. Certaines filent un état amoureux : « Mes doigts te voient – C’est toi qui est là – Aime-toi ». Le malheur n’a pas droit de cité, tout juste le fond de l’air fraîchit. « C’est notre histoire, ainsi », approuvent au loin des animaux sauvages.
mardi 24 juillet 2018
24 juillet
Vers les montagnes, Binh-Dû s’égare. Il s’agit bien de lui, mais se
trouve-t-il toujours à l’ouest du chancre urbain, et ce soleil de midi
indique-t-il de façon fiable la direction du sud ? La sinuosité des routes
se joue de sa prétention aux détours.
Il espère diminuer à chaque tour de roue la distance qui le sépare des
randonneuses parties bien avant lui. Le lendemain, l’excédent de kilomètres se
résorbera à pieds et à contresens. « Suis-je sur le bon
chemin » ? demande-t-il dans l’épicerie-bar.
L’adolescente monte dans sa chambre vérifier sur l’ordinateur, tandis
que le grand frère reste relié à sa fiancée par les écouteurs de leur iPad. Le
père rentre de sa promenade un peu essoufflé, il allègue de son âge en parade
aux moqueries.
Binh-Dû ne peut que compatir, comparant à son propre avantage les corps
entamés : leurs peaux sont de même ascendance, très orientale,
l’adolescente redescendue pourrait être sa fille, qui lui indique par où
partir. Tous les sourires s’apparentent.
Bien qu’à l’âge du fils, Binh-Dû n’ait pas connu la présence à son côté
d’une fiancée si jolie. Il eût été plus empressé. On a les échecs et les
réussites de ses ambitions, celles de Binh-Dû consistaient à ne pas se faire
entendre.
Être, agir, recevoir, ressentir, et se garder de trop comprendre. Dans
la vallée, les gens se préservent d’une décompensation en perpétuant leurs illusions,
la différence est dans le degré de conscience vis-à-vis du régime infligé.
L’artifice du réel se dissémine en mille exemples d’usurpation de
l’espace commun. Soit tu te soumets à la loi du péage, soit tu raques en ZAC
tentaculaires, en ronds-points et en panneaux publicitaires. Quel consensus en
a décidé ainsi ?
À qui profite le crime ? Jusqu'où continuera-t-on à instaurer la peur pour légitimer l'autoritarisme ? Sur ces questions la compréhension est disponible. Mais « Pourquoi suis-je moi et pourquoi pas toi ? / Pourquoi suis-je ici et pourquoi pas là ? » : oublie.
lundi 23 juillet 2018
23 juillet
Reprise du ballet des histoires au quatrième jour du festival : une vieille femme pourrait éviter d'ouvrir sa porte aux catastrophes, la fille du boucher rend son tablier, le chevalier à la triste figure connaît des sursauts de jeunesse. Sous les premières branches maîtresses de l'arbre on mange un taboulé.
Survient une cycliste, pile au bon moment, porteuse de bonnes nouvelles et d'idées joyeuses. Cette amie-là invoque l'eau du ciel, lequel, intimidé, se contente de rouler des nuages apocalyptiques. Un spectacle à contempler les yeux en l'ait tandis qu'une guitare furieuse prédit un avenir post-électrique.
Triste vigile figé au ras du présent tu ne comprends rien à ce qui se vit, tes lunettes noires ne t'y aident pas, non plus la pesanteur infligée à ta moue. Tu t'imagines qu'un sac vide est une menace et que son propriétaire est un terroriste nécessitant que soient mobilisées deux voitures remplies de policiers.
Pour combien d'heures de garde-à-vue, quelle quantité de bêtise plus ou moins brutale, quelle urgence fantasmée, quel esprit insensé d'obéissance ? Face à la suspicion totalitaire, prendre la poudre d'escampette est une solution raisonnable, la sortie des artistes permet de ne pas manquer la dernière fête.
Survient une cycliste, pile au bon moment, porteuse de bonnes nouvelles et d'idées joyeuses. Cette amie-là invoque l'eau du ciel, lequel, intimidé, se contente de rouler des nuages apocalyptiques. Un spectacle à contempler les yeux en l'ait tandis qu'une guitare furieuse prédit un avenir post-électrique.
Triste vigile figé au ras du présent tu ne comprends rien à ce qui se vit, tes lunettes noires ne t'y aident pas, non plus la pesanteur infligée à ta moue. Tu t'imagines qu'un sac vide est une menace et que son propriétaire est un terroriste nécessitant que soient mobilisées deux voitures remplies de policiers.
Pour combien d'heures de garde-à-vue, quelle quantité de bêtise plus ou moins brutale, quelle urgence fantasmée, quel esprit insensé d'obéissance ? Face à la suspicion totalitaire, prendre la poudre d'escampette est une solution raisonnable, la sortie des artistes permet de ne pas manquer la dernière fête.
dimanche 22 juillet 2018
22 juillet
Une
tente se démonte mieux avant le petit-déjeuner, surtout si celui-ci est un
brunch. Un thé se boit chaud, surtout si c’est une tisane. Un homme bavard
s’écoute plus distraitement le matin, surtout s’il parle à quelqu’un d’autre.
Une femme aimée est toujours aussi jolie de profil. Un square est un square,
quelque soit l’heure, d’autant lorsqu’on n’est pas en retard. Le même arbre
nous y retient.
Une voiture blanche attend au pied de la statue républicaine. « Au
revoir, à très bientôt », dit-il. Et la pluie reste avec lui une bonne
partie de l’après-midi. Ce n’est pas aussi triste qu’il l’avait anticipé,
« Nous avons fait du chemin », remarquait-elle. Quand la pluie cesse,
le corps est hissé hors de l’humus, deux acrobates en bottes narguent un
squelette doré dans son fauteuil, on plante des fleurs.
Les femmes bavardes courent les rues comme tout le monde, s'arrêtent aux bons endroits pour boire un verre, usent généreusement de leurs passe-droits, demandent des nouvelles depuis tout ce temps - puisqu'on a failli se heurter par hasard -, ne sont pas tant bavardes que désireuses de partager un peu de passé. Mais du côté chagrin de sa propre loyauté, mieux vaut aller se coucher.
samedi 21 juillet 2018
21 juillet
Au matin pourtant l’amour chantait et nous tendait la main. Au soir, c’est un arbre noirci qui se couvre de roses. Le fleuve mène aux anciens abattoirs, s’y rendre à pas rapides redresse le moral. Là-bas, tout est prêt aussi pour la pluie qui ne viendra pas, le chapiteau à ciel ouvert assume sa fragilité. De quoi avez-vous le plus peur, comment rêvez-vous l’avenir, que voudriez-vous vivre avant de mourir ? Dix doigts s’entrelacent. Personne n’est forcé de répondre. Les baisers sont silencieux.
[merci à Gilles Cailleau]
vendredi 20 juillet 2018
20 juillet
Sur
l’île, les supputations sont foison, à qui ce sourire insistant est-il
destiné ? Nous sommes assis par terre, nous avons montré patte blanche et franc
sac à la police, nous attendons entre personnes de bonne compagnie que le
spectacle commence. Au matin, un héron a traversé le ciel sans que personne ou
presque n’y prête attention. (Binh-Dû serait flatté qu’un chef tribal des
Grandes Plaines le nomme ainsi, Personne-ou-presque.) Il y avait excès de
sardines pour monter la tente au bord du fleuve.
Cette femme qui sourit semble hésiter à l’unisson, fut-elle connue dix
ans auparavant dans une maison de l’emploi ? Est-ce ainsi que ses traits ont
évolué, et l’expression que l’on devine en retrait du sourire est-elle
mi-amusée mi-appréciatrice ? Faudrait-il se lever pour raconter le chemin
parcouru, serait-il opportun d’improviser un bref rapport d’activité teinté de
gratitude ? Ou son expectative s’adresse-t-elle à un spectateur situé dans
la continuité de l’axe, comme si personne ou presque n’existait au
milieu ?
Plus tôt dans la journée, un guitariste était persuadé de reconnaître en l'homme dégustant une crêpe avec son amoureuse (aurait-on cru) sous un grand arbre du parc quelqu'un qu'il aurait connu ailleurs, mais où ? Plus tard dans la journée un pianiste s'avère être le même pianiste qui un mois plus tôt ne s'était pas rasé le crâne - autour de lui, de très singulières amies communes sont aisément reconnaissables. En fin de soirée tous les chemins se séparent, non sans une inespérée exhalaison de boucles brunes.
jeudi 19 juillet 2018
19 juillet
De
glissement en glissement, le délai s’accentue, devient détour. La ville est une
boule hérissée de piquants, Paris est un hérisson. On veut éviter les bouchons,
on s’éloigne, on fait le tour d’un grand stade et on revient, Paris est un
flipper. La ville n’a pas de limite, elle se longe tel un chemin d’estuaire.
Et pendant ce temps, la plus
tendre des ondines confectionne des sandwiches. Patiente, ses yeux brillent
d’un feu qui rassure et guérit. Elle est ce qu’en disent les légendes, les
boucles de ses cheveux sont des langues d’amour, et son front renferme le
trésor d’une âme pure. Le manque, chez elle, est une orée.
L’ignore-t-elle, pourtant !
Elle propose un thé sur un banc. Mieux vaut s’échapper, s’en aller dîner dans
les champs. Au loin la pluie rivalise avec les rayons du soleil couchant, en
traits obliques, cendres grises, gloire blanche. Les hirondelles ont fait leur
nid dans un village aux deux rivières, où paissent aussi des moutons.
Tombe la nuit, et l'orage annoncé. Qui se mue en déluge cisaillé d'éclairs. Écrin pour que soient confiées la colère, la honte, la peur. Entendues, acceptées, alchimisées par le tonnerre. À l'arrivée il ne pleut presque plus dans les flaques, des étoiles apparaissent derrière le pare-brise. Jusqu'à plus d'heure.
mercredi 18 juillet 2018
18 juillet
Il fait chaud, le temps glisse. L'attente se rapproche du lendemain où les amarres enfin seront larguées. Il y aura un effort requis puisque d'avance le bras est douloureux, de l'épaule au poignet, le bras qui tiendra le volant, l'autre reposant sur la portière, vitre baissée. Dans des circonstances plus solitaires cette contrariété musculaire serait prétexte à rester couché. A regarder dans l'écran de télévision les petits bonshommes pédaler en haut des cols. Il fait si chaud. Et les orages menacent, non ? Oui, si l'on en croit les prévisions météorologiques. Si l'on croyait les prévisions de toute sorte - celles qui ont les apparences du bon sens - on n'irait pas bien loin. On guetterait l'époque à venir des casques immersifs, quand il ne sera plus nécessaire de grimper la moindre colline pour tenter de ressentir ce qu'est le vol d'un aigle. Quand partager une expérience commune ne fournira plus un motif de déplacement - autant rêver sans regret aux temps de la sauvagerie. La transpiration ruisselle dans l'immobilité du cube, volets fermés. Dernières dernières fois avant l'accostage du retour, partir en vacances est un renoncement provisoire. A une poignée de kilomètres d'ici, un autre sac à dos se remplit - dans la joie.
mardi 17 juillet 2018
17 juillet
Dieu est un
concept imprécis, précaire et obstiné. Il fait loi parmi d’autres lois
humaines. Mais si nous aimons rêver grand, nous préférons voir petit. Nous, les
sédentaires. Qu’importe le nombre de pièces, au final demeure un enserrement de
murs, un plafond, un plancher. Même un jardin n’y change rien, même une
terrasse ouverte sur le ciel, c’est toujours la sécurité qui nous tient.
Binh-Dû étire ses membres en travers du lit. Si sa tête était d’une forme plus
allongée il pourrait se prendre pour une étoile. Il rêverait à en désarticuler
la cause de tous ses pincements (oh, cette nuque si raide !), il
délaierait les acidités dans l’écume lactée de l’amour sans souci. Il se
réveillerait au moment qui lui plairait, ainsi qu’on change de position – par
préférence. Tout changerait d’un coup s’il rencontrait une jambe distincte des
siennes : Dieu passe le relais dès lors que nous sommes deux. Parés pour
le voyage, redressés, debout, un pas à tour de rôle dans le monde extérieur. Si
je penche trop tu me retiens, si c’est toi qui penche je me redresse.
L’équilibre vient en marchant, jusqu’à l’audace d’inventer sa trace. Binh-Dû
est si solitaire qu’il en oublie souvent qu’on l’aime.
lundi 16 juillet 2018
16 juillet
À choisir, être tour à tour le sujet et l’objet. De quelque chose,
nécessairement. Cette chose qui se situe entre l’homme impatient qui s’exaspère
de subir la lenteur de ceux qui le précèdent – Mais allez, remuez-vous un peu,
pensez aux autres, laissez-moi le champ libre ! Et l’homme placide qui ne
voit pas de sens à précipiter ses gestes, bien au contraire – Pourquoi es-tu si
pressé, qu’est-ce qui a tant d’importance que tu ne puisses pas attendre
quelques secondes de plus ? Il y a peu d’alternatives pour les sujets qui
s’ignorent.
Dans tous les cas, il manque une femme. Les deux hommes objets reflètent
l’un de l’autre l’animosité qui les réduit. Ce qui se situe entre eux c’est
aussi là où ils se situent, dans une station-service aux prix cassés. Un monde de
virilités et de voitures qui chauffent. Binh-Dû quant à lui envoie des lettres
amicales sur la toile. Par paquets de six, sa dose journalière. Immatérielle à
souhait. Sans obligation de réciprocité. Le jour suivant il relève son
courrier, le taux de réponse immédiate est de 17%. De quoi tremper ses lèvres au
verre au sixième plein.
dimanche 15 juillet 2018
15 juillet
Puisque la période est à la mélancolie prématurée... Il ne manquerait
parfois qu’un cadre rectangulaire – quatre doigts joints et deux paumes
dressées à la verticale y suppléent avec une étonnante efficacité, encore
faut-il assumer, et le regard appuyé et la mise à distance – pour obtenir une
émotion cinématographique. Ce visage à fleur de peau baigné d’un soleil orangé
de fin de journée. On prolongerait le film grâce aux bonus du DVD – les scènes
coupées au montage qui ne trouvèrent pas à s’inscrire dans la narration.
Coupés au montage les passages honteux, médiocres, pusillanimes à
l’excès. La litanie du premier poil blanc, les douleurs dépourvues de sens. Les
attentes paresseuses. Les redondances. Nous serions les réalisateurs de films
propagandistes incitant les âmes hésitantes à prendre corps. Comme des migrants
exilés sur Terre et qui dépeindraient à la famille restée au pays une réalité
épurée - Tout va bien, je vais vous envoyer de l’argent. Le film préféré de
Binh-Dû montrerait un temps d’avant,
perpétuellement suspendu.
samedi 14 juillet 2018
14 juillet
La tristesse s’abat à la fin du jour. D’avoir programmé une enfilade de
lendemains jusqu’à l’apex du mois d’août, d’un coup s’y retrouver et c’est déjà
le déclin de l’été. D’anticiper une séparation annoncée au cœur de la prochaine
fête ; cela se passera ainsi, une dernière embrassade, un sac hissé sur le
dos, un pâle sourire de part et d’autre, l’une montera en voiture et l’autre
replongera dans la foule. Aujourd’hui même, après une journée ensoleillée,
d’étreindre une femme qu’on ne reverra pas avant septembre et dont on esquive
le risque d’un baiser.
Binh-Dû pourtant s’est réjoui d'entendre un couple de tourterelles si bien
assorties, posées côte à côté sur un fil électrique. Il s’est empli de bonheur
esthétique à la vue de danseurs tels de souples animaux plus libres qu’ils ne
furent sauvages. Il a respiré le ciel et ses parfaits nuages. Assis sur un bloc
de pierre taillé dans un gisement de fossiles, il s’est immergé dans une conversation essentielle.
Il a étiré ses orteils autant que possible pour accroître l’aise de ses
nouvelles chaussures. Rien n’y fit. Ses pieds chéris lui semblent trop petits.
vendredi 13 juillet 2018
13 juillet
Les accomplissements souvent passent inaperçus. Ni à l’entrée ni à la
sortie le vigile ne repère qu’il y eut un avant et qu’il y a un après.
S’abritant des premières gouttes de pluie qui tombaient aux abords du centre
commercial, Binh-Dû fit des emplettes opportunistes, quand il sortit à nouveau
dans la rue, de perpétuelles premières gouttes de pluie (vite évaporées) maculaient
le trottoir. L’air est chaud, le vent souffle fort dans les nuages et le temps
assèche les regrets. À plus forte raison quand une deuxième démarque efface l'initiale déception des soldes.
Quelle fut âpre pourtant cette négociation entre les principes
spartiates de Binh-Dû et les exigences de ses pieds. Au final il trouva donc
chaussures. Soldées comme il se doit, bien que d’une demi-pointure trop
courtes. Il coupera les ongles de ses orteils. D’un pas allégé il arpenta les
travées d’un magasin voisin où l’on n’accepte plus les chèques depuis deux ans
et demi (ah bon, cela fait si longtemps que je vivais dans ma grotte ?),
et s’offrit grâce à l’économie réalisée le disque détaxé d’une chanteuse aux
pieds nus. La vendeuse lui rendit un sourire de connivence.
[merci réitéré et non moins perpétuel à Camille]
jeudi 12 juillet 2018
12 juillet
La sœur inventée serait un être de totale confiance, disponibilité,
bienveillance. De même serions-nous un frère pour elle. Binh-Dû surimpressionné
dissimule à l’extérieur de lui-même l’homme que nous sommes. Chez lui aussi, totale
bienveillance, et cætera. Il est requis pour aller au bout de n’importe quel
voyage, car il est habile à se contenter de peu. Il sait évoluer entre les
plaintes et les appréhensions, pour tout dire ça le fait rire. Il n’aurait pas l’âme
mélancolique, ni décisionnelle, ne serait pas du genre à affirmer une opinion ou
à prodiguer un conseil.
La sœur réelle correspond assez bien à la définition de la sœur
inventée. Diffèrent forcément la tonalité de songe propre à la seconde ainsi que le registre
ambigu consistant à se proclamer frères et sœurs humains, de passage sur Terre.
Binh-Dû apporte à l’homme que nous sommes un surcroît de biodiversité. Il sait
que l’amour se pratique à plusieurs. Il a exploré les continents, les océans,
il est en mesure de parcourir à rebours le temps qui les fatigue. C’est pour
lui un jeu de paysages, certains, nous ne les soupçonnerons pas de notre
vivant. « Mais le premier paysage, c’est toi. »
mercredi 11 juillet 2018
11 juillet
Binh-Dû est dans la ville, il respire une fois sur trois, entre deux
émanations toxiques. Il n’y parvient pas très bien, il doit s’empoisonner à
petit feu. Martyre de ceux qui ont les moyens de s’acheter de
l’oxygène. Ces gens-là s’efforcent de croire qu’il y aura de l’avenir pour
leurs enfants, une espérance de vie qui permettra de mourir avant eux. Ceux qui
n’ont pas les moyens ne se verront jamais attribuée une place dans les
navettes, ils sont résignés à ne jamais surplomber les nuages. Ils se disent
que les enfants, déjà, c’est bien quand c’est petit.
Binh-Dû est un enfant des circonstances, comme n’importe lequel d’entre
nous. Il est sa propre adaptation aux circonstances. Son métabolisme fractal
est en revanche assez particulier, qui lui permet de ressentir sans barrière
cellulaire le vent dans les branchages. Malheureusement il y a de moins en
moins d’arbres. D’autres événements s’y substituent, qui n’auraient pas pris tant
d’importance sinon. Il se serait perché par choix en haut du magnolia au lieu
de le rêver refuge. Mais en tout état de cause, la vie se survivant, de joie parcellaire il s'emplit et se contente.
mardi 10 juillet 2018
10 juillet
Encore une semaine à tirer, le fil sur l’écheveau donne un mauvais
coton. Toujours mieux que du polyester, certes, et il n’est guère élégant de
pisser sur le mérinos. Mais tout de même, on voit les bouloches. Tu auras beau
jouer du violon à mon oreille – à la tienne plutôt, qui penche vers la table
comme ivre de son propre son –, je vois bien que je tangue et pire je vasouille.
D’ailleurs qui suis-je ici, quelle est cette première personne du singulier qui
s’immisce alors qu’on ne lui a rien demandé ? Et qui es-tu ? Où est
Binh-Dû ?
C’est lui qui fait défaut, le joueur de flûte. Celui qui suit la
musique qui le traverse, celui qui devance la loi des récompenses et des
calamités. Même quand il s’absente il se tient tout près, il ne cesse en
réalité d’être au cœur de l’action, transparent, aléatoire, satisfait. Il a
définitivement obtenu ce qu’il voulait. Cela ne suffit pas à nous arranger, le
problème étant que la biodiversité de nos sentiments se réduit. Presque plus
d’arbres, des îles en plâtre s’effritant dans le néant, des animaux sans queue
ni tête. Qu’on nous retienne avant qu’on mute !
lundi 9 juillet 2018
9 juillet
Douché le
mauvais coucheur. Du genre à consulter la météo avant d’enfiler son pantalon,
mais voilà : sitôt le nez dehors, quelques gouttes chaudes lui tombent sur
le bout du nez. Il râle, il proteste, il ne veut pas croire. Ça va bien cesser
à la fin, à peine que ça commence ? Ça ne devrait pas exister, ça n’était
pas prévu. Suffit de se faire emmerder ! Déjà qu’il est en retard, déjà
que rien ne se passe comme désiré, l’argent qui ne tombe pas du ciel, l’amour
qui persiste à fuir, et lui qui court derrière avec sa contrariété. Au
carrefour un chien le regarde de travers, sale bête ! Sous l’auvent de la
boulangerie une femme tenant son bébé au creux du bras gauche rajuste de la
main droite sa robe, comme s’il la matait vicieusement. Les publicités de douze
mètres carrés exhibent des sourires mensongers. C’est comme ça, dès qu’on
s’approche, ça dépixelle. Il pleut de plus en plus fort, le ciel est jaune
orageux. Qu’elle crève, l’humanité, du reste cela ne saurait tarder ! La
chemisette lui plaque au torse, manquerait plus qu’il attrape froid. La vie,
c’est une chierie. On a relevé les balais de ses essuie-glaces, pure
malveillance, pourquoi, mais pourquoi ? Un premier éclair se fracasse,
entraînant des trombes d’eau. Il est totalement vain d’essayer d’éviter les
flaques. De chercher à s’abriter. De regretter. D’attendre. Il renonce,
retourne chez lui, se redouche et se recouche.
dimanche 8 juillet 2018
8 juillet
Autant considérer toute société comme une société d’abrutis. Ne
valoriser que la déviance, la marge et le dépit. Renvoyer dos à dos la bêtise
crasse et la bêtise cultivée. Soi-même, se tourner le dos à peine on se
surprend dans son miroir. Consacrer son esprit à l’ironie et à l’obtention de
plaisirs. Ne jamais se croire dupe de ses gratifications – et pourtant...
Sur la plage court un gros homme, enveloppé des manquements de la vie
à son égard. Mal aimé, négligemment reconnu. Il trébuche et tombe. Son corps forme
cratère, il est une bombe non explosée. Deux hommes minces le relèveront. Trois
femmes le plaindront. Quatre enfants tenteront de débarrasser des grains de
sable son costume incongru.
À l’arrière de la berline une femme parle à son oreillette. Elle
s’accompagne de gestes de la main valorisés à 300 euros la minute. Le transfert
en hélicoptère est déjà amorti, d’ailleurs ce n’est pas elle qui paie. Mille ouvriers
mourront. Cent mille familles prieront en vain. Dix millions d’enfants
tousseront du sang. Un milliard d’organismes évolués disparaîtront.
Autant planter son regard dans le ciel ou ce qu'il en reste, et sourire aux anges. Sentir l'amour divin diffuser dans tous les organes, s'émerveiller de ce qu'ils fonctionnent en cette seconde précise, puis la suivante, puis la suivante. Saisir la main tendue, serrer l'humain contre son cœur. Croire en la bonté fondamentale – être la dupe et le ravi ?
samedi 7 juillet 2018
7 juillet
La fenêtre est ouverte à l’espagnolette tel un signal de confiance pondérée,
dans son lit un spécialiste émérite ronfle. Ses rêves sont atones et sa
conscience tranquille. Bientôt cet homme qui dort aux bonnes heures se
réveillera comme il faut, un bras relâché vérifiant par habitude la présence à
son côté de sa femme. Ils boiront leur café ensemble à la table de la cuisine.
Ailleurs, des agités en quête bavardent jusqu’au bout de la nuit. Vers
la fin, ça zozote peut-être un peu, il y a du vitreux dans les regards, mais le
désir d’entente insiste. Désir de vérités profondes aussi, sur la manière
d'être soi dans une société de clones, sur l’esthétisme d’une parole, d’un
geste, d’un mouvement à naître. Ils vivent
dans leur modernité et dans leur ardeur.
Le spécialiste émérite dort encore, bien qu’il se soit tourné vers le
dos de sa femme. Il ira tantôt s’ennuyer devant la créativité d’aspirants
révolutionnaires, en rédigera un compte-rendu lapidaire, c’est écrit déjà – l’habitude.
C’est ce qu’on attend de lui. C’est pour cela qu’on le paie, pour sa réflexion
bourgeoise, sa vieillesse précoce. Nul
souffle d’air frais ne pourrait le régénérer.
De la même façon tu fonctionnes en boucle. Tu es un séducteur, on le
sait, tu as cette lueur dans les yeux (à l’instant où une pensée amusante te
vient à l’esprit) qui fait craquer les filles. Mais tu voudrais aussi les
convaincre que l’imbécilité humaine est un puits sans fond où déjà s’abîme le
monde et qu’aimer est au mieux parier sur un sursis. A la fin tu danses seul
dans la lumière blanche.
vendredi 6 juillet 2018
6 juillet
L’homme
qui lui tend une bouteille d’eau sous la canicule porte sur la tête une coupe
de cheveux hors de prix. De plus, il est descendu d’un scooter rutilant, non
moins puant. « Vous êtes sûr,
vous n’avez pas soif ? » Bien sûr qu’il a soif, surtout après avoir
changé la chambre à air de son vélo, et puis il pourrait plus efficacement ôter
la saleté de ses mains qu’en leur crachant dessus. Mais l’homme est clairement
un ennemi de classe, d’ailleurs il se dirige à présent vers sa péniche luxueuse,
un peu vexé par l’offre refusée. Il faudrait ne pas se sentir mendiant pour
permettre le don. Les palissades d’un chantier de construction contournent avec
soin l’horodateur devant lequel une femme gracile se voûte pour lire les
instructions, violentée par le fracas des marteaux-piqueurs et le souffle
mortifère du béton froid. Le tronc et les branches des arbres ont été rabotés
par le passage des engins et les frôlements répétés d’une grue métallique. Dans
la pénombre, le corps étendu se souvient d’un autre corps tout près de lui,
d’une veille désirante à l’écoute des respirations – à chaque goulée d’air
l’amorce du désir. C’était l’amour, condition nécessaire. Dans le parc, alors
que la nuit tombe, des hommes solitaires hissent répétitivement leurs muscles à
des agrès de force, tels des prisonniers. La jeune femme accompagnée se repère
au logo lumineux d’une banque, en haut d’une tour. Un jour elle attendait
assise dans l’encoignure extérieure d’une baie vitrée à l'épreuve des balles et des béliers, « sur la
banque », avait-elle indiqué par texto – auprès d’elle se vivent des
heures inestimables. Son sac contient une petite bouteille en plastique, à
laquelle il aima boire.
jeudi 5 juillet 2018
4 juillet (suite)
À la volée
un visage ravagé et un bras dans le plâtre, cette femme sans âge est bien
maigre et personne n’a dessiné de cœur à l’encre rouge, cela sent la saleté et
la misère. Un effluve soudain, son regard implorant. Face auxquels le geste
réflexe consiste à écarter les bras comme en descente de croix, au creux des
paumes les stigmates, et les petits enfants viendraient se blottir dans la
lumière éternelle. Rien dans les poches, prétend-il en poursuivant sa route. Il
ment, ce ne sont pas des mouchoirs qui tintent contre sa jambe. Il éternue à
cause des tilleuls. Il marche trop vite, trop directement vers le bureau de
poste où il fera l’appoint pour payer un timbre, où il prendra peut-être le
temps de retirer quelques billets du distributeur avant de s’enfuir comme un
voleur, les yeux baissés. Il a établi dans sa tête un programme minuté,
désireux que rien ne le perturbe. Peut-on être désireux du rien ? Lors des
rendez-vous avec son psy, il cherchait de quel traumatisme originel était issu
son mal de vivre. Je ne crois pas avoir eu une enfance malheureuse,
s’étonnait-il souvent. Son psy paraissait en avoir vu d’autres, il attendait la
suite. Parfois après un silence : Vous dites que vous « ne croyez
pas » ? Après avoir posté le règlement de son loyer et fait ses
courses au supermarché, il rentre chez lui, satisfait d’être dans les temps. Il
ignore que répondre « Oui, merci » à la main tendue transfigurerait
le masque indécis de ses soucis – et les cieux s’ouvriraient, et une nuée de
séraphins entamerait une farandole.
mercredi 4 juillet 2018
4 juillet
Quand nous serons invulnérables comme papa. Grands et forts. Plus rien
ne pourra nous menacer, de même que rien ne menace quand papa est là. Nous
sommes en sécurité. Nous protégerons le monde, les nôtres dans le vaste monde.
Nous serons infaillibles, nos muscles seront d’airain et notre parole d’or. En
attendant nous sommes confiants, gare à toi mon frère si tu t’avises de
t’opposer à la loi de papa. Car papa est aussi terrifiant. Il est capable de
toucher le plafond du bout de ses doigts en se tenant sur la pointe des pieds. La
seule façon de s’échapper consisterait à passer sur le balcon et à descendre en
s’agrippant aux aspérités de la façade. La nuit quand il dort, car autrement : rien ne lui échappe. Il sait tout. Il
ne mourra jamais.
À moins que ce jour où nous aurons grandi jusqu’à le rattraper, nous
voulions remettre en cause sa vérité. Son front se sera couvert de rides
horizontales, telles des ratures sur des phrases désavouées. Il se sera un peu
voûté. Dans son regard on percevra des lumières inédites, plus inquiétantes que
ses fureurs de jadis, ce seront les feux-follets de la peur. Finalement il aura
vieilli. Ses muscles seront redevenus une glaise maladroitement pétrie. Il se
retiendra à la poussette de ses petits-enfants, en effectuant trois tours du
petit bassin, à pas lents. Une fillette tournera dans le même sens mais plus
éloignée du centre, plus vite, en s’arrêtant souvent pour tendre la main et
demander l’aumône. Les gens secoueront la tête. L’air de dire : « Non
merci. »
mardi 3 juillet 2018
3 juillet
Faudra-t-il
se résoudre aux fantasmes ? Le corps alangui dans la douceur de l’été ne
suffirait-il plus ? Ce regard singulier, ce désir, cet esprit et cette
âme. Mais le regard déjà ouvre l’imagination, quel que soit le lieu, un lit
approprié, une clairière tapissée de mousse tendre sous les frondaisons, un
repli de dune. L’autre n’est jamais seulement lui-même (et reste à découvrir
qui moi-même je suis). L’autre est un découvert autorisé, sous conditions, un
interdit modulable. Un animal sauvage qui consent à se laisser approcher, mais
qui pourrait changer d’avis. À moins que l’animal sauvage, ce ne soit moi. Ou
que tous deux nous soyons sauvages et animaux, ou que nous soyons humains, nous
serions frère et sœur. Nous serions deux amants engagés ailleurs. Une main
posée sur la peau inconnue redéfinirait le corps tout entier, donnerait
naissance instantanée. La chair serait indéfectiblement inconnue, comme une
promesse d’éternité. Puis tout se joindrait en un éclair de connaissance. Ce ne
serait pas jouissance encore, mais prémices de plaisir suprême. Il y aurait
même un zeste de revanche que cela ne gâterait rien ; l’exercice du
pouvoir est une résolution.
lundi 2 juillet 2018
2 juillet
À l’heure vespérale, aucun loup ne hante les quartiers résidentiels.
Nul chien, non plus que leurs hommes, où sont-ils tous passés ? Dans le
ciel les martinets saluent la descente du soleil, comme ils saluèrent son
apparition, son apogée, tous les moments de la journée. Hors d’atteinte, dans
leur dimension parallèle. Voici un jeune couple se tenant par la main, souriant
un « Bonsoir » au passage. Un air d’anomalie. (Ce fut jadis un temps
de promenade entre mère et fils, un avant-goût du sommeil.) La télévision est
sans doute allumée derrière les vitrages renforcés, au bout des allées
arborées. Il y a sans doute des habitants, malgré leur discrétion.
C’est un soir d’encombrants, jonchés sur les trottoirs, aubaine pour
les chiffonniers qui tardent encore à s’extraire des bouchons du périf. Ça sent
la cave et le bois pourri. Le chat qui manquait est à demi tapi sous une
voiture, il observe le mouvement saccadé de la paire de lacets qui lui passe
sous le nez. Et le chien remonté du loup se prélasse sur le balcon d’un
troisième étage, une patte nonchalamment glissée entre les barreaux. « Tu
l’as dit, ne dis pas que tu ne l’as pas dit ! » crie une femme à sa
fenêtre, tandis que tombe de ses doigts la cendre d’une cigarette. La paix est
aussi précaire qu’est immuable l’obscurcissement du jour.
dimanche 1 juillet 2018
1er juillet
Le feu sacré brûle dans ses yeux. Ses pupilles sont dilatées comme par
excès de drogues mais c’est simplement l’intensité qu’elle met à vivre, même
quand elle est fatiguée ou mélancolique ou entre deux explosions de vitalité.
Le feu sacré brûle dans ses pieds. Sa pointure lui permet de s’insinuer dans un
trou de spectateurs mais pas de voir par-dessus leurs épaules. Souvent elle
renverse les pôles et alors ses pieds montent plus haut qu’on ne saurait lever
les nôtres, indécrottables terre-à-terre que nous sommes.
Les magasins en solde révèlent que rien de désirable ne se vend moins
cher que ce que l’on aurait acheté un autre jour. Mais il y a foule, et dans
cette foule l’idée traverse qu’on rencontrera quelqu’un d’imprévu. En guise de
qui, des regards de vigiles ou d’inconnus vaguement curieux. C’est un peu plus
tard, quand on ne s’y attend plus, que survient une parfaite coïncidence, un
signe du hasard qu’il serait sot de négliger. Le feu couve, elle cherche son
propre flambeau, qui la guidera. Patience, les rêves s’accorderont jusqu’à
l’éloquence.
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