L’homme
qui lui tend une bouteille d’eau sous la canicule porte sur la tête une coupe
de cheveux hors de prix. De plus, il est descendu d’un scooter rutilant, non
moins puant. « Vous êtes sûr,
vous n’avez pas soif ? » Bien sûr qu’il a soif, surtout après avoir
changé la chambre à air de son vélo, et puis il pourrait plus efficacement ôter
la saleté de ses mains qu’en leur crachant dessus. Mais l’homme est clairement
un ennemi de classe, d’ailleurs il se dirige à présent vers sa péniche luxueuse,
un peu vexé par l’offre refusée. Il faudrait ne pas se sentir mendiant pour
permettre le don. Les palissades d’un chantier de construction contournent avec
soin l’horodateur devant lequel une femme gracile se voûte pour lire les
instructions, violentée par le fracas des marteaux-piqueurs et le souffle
mortifère du béton froid. Le tronc et les branches des arbres ont été rabotés
par le passage des engins et les frôlements répétés d’une grue métallique. Dans
la pénombre, le corps étendu se souvient d’un autre corps tout près de lui,
d’une veille désirante à l’écoute des respirations – à chaque goulée d’air
l’amorce du désir. C’était l’amour, condition nécessaire. Dans le parc, alors
que la nuit tombe, des hommes solitaires hissent répétitivement leurs muscles à
des agrès de force, tels des prisonniers. La jeune femme accompagnée se repère
au logo lumineux d’une banque, en haut d’une tour. Un jour elle attendait
assise dans l’encoignure extérieure d’une baie vitrée à l'épreuve des balles et des béliers, « sur la
banque », avait-elle indiqué par texto – auprès d’elle se vivent des
heures inestimables. Son sac contient une petite bouteille en plastique, à
laquelle il aima boire.