À la volée
un visage ravagé et un bras dans le plâtre, cette femme sans âge est bien
maigre et personne n’a dessiné de cœur à l’encre rouge, cela sent la saleté et
la misère. Un effluve soudain, son regard implorant. Face auxquels le geste
réflexe consiste à écarter les bras comme en descente de croix, au creux des
paumes les stigmates, et les petits enfants viendraient se blottir dans la
lumière éternelle. Rien dans les poches, prétend-il en poursuivant sa route. Il
ment, ce ne sont pas des mouchoirs qui tintent contre sa jambe. Il éternue à
cause des tilleuls. Il marche trop vite, trop directement vers le bureau de
poste où il fera l’appoint pour payer un timbre, où il prendra peut-être le
temps de retirer quelques billets du distributeur avant de s’enfuir comme un
voleur, les yeux baissés. Il a établi dans sa tête un programme minuté,
désireux que rien ne le perturbe. Peut-on être désireux du rien ? Lors des
rendez-vous avec son psy, il cherchait de quel traumatisme originel était issu
son mal de vivre. Je ne crois pas avoir eu une enfance malheureuse,
s’étonnait-il souvent. Son psy paraissait en avoir vu d’autres, il attendait la
suite. Parfois après un silence : Vous dites que vous « ne croyez
pas » ? Après avoir posté le règlement de son loyer et fait ses
courses au supermarché, il rentre chez lui, satisfait d’être dans les temps. Il
ignore que répondre « Oui, merci » à la main tendue transfigurerait
le masque indécis de ses soucis – et les cieux s’ouvriraient, et une nuée de
séraphins entamerait une farandole.