La fenêtre est ouverte à l’espagnolette tel un signal de confiance pondérée,
dans son lit un spécialiste émérite ronfle. Ses rêves sont atones et sa
conscience tranquille. Bientôt cet homme qui dort aux bonnes heures se
réveillera comme il faut, un bras relâché vérifiant par habitude la présence à
son côté de sa femme. Ils boiront leur café ensemble à la table de la cuisine.
Ailleurs, des agités en quête bavardent jusqu’au bout de la nuit. Vers
la fin, ça zozote peut-être un peu, il y a du vitreux dans les regards, mais le
désir d’entente insiste. Désir de vérités profondes aussi, sur la manière
d'être soi dans une société de clones, sur l’esthétisme d’une parole, d’un
geste, d’un mouvement à naître. Ils vivent
dans leur modernité et dans leur ardeur.
Le spécialiste émérite dort encore, bien qu’il se soit tourné vers le
dos de sa femme. Il ira tantôt s’ennuyer devant la créativité d’aspirants
révolutionnaires, en rédigera un compte-rendu lapidaire, c’est écrit déjà – l’habitude.
C’est ce qu’on attend de lui. C’est pour cela qu’on le paie, pour sa réflexion
bourgeoise, sa vieillesse précoce. Nul
souffle d’air frais ne pourrait le régénérer.
De la même façon tu fonctionnes en boucle. Tu es un séducteur, on le
sait, tu as cette lueur dans les yeux (à l’instant où une pensée amusante te
vient à l’esprit) qui fait craquer les filles. Mais tu voudrais aussi les
convaincre que l’imbécilité humaine est un puits sans fond où déjà s’abîme le
monde et qu’aimer est au mieux parier sur un sursis. A la fin tu danses seul
dans la lumière blanche.