Depuis son lit quand il s’y adosse Binh-Dû peut voir une tranche de
rue, peu passante, très peu roulante. Un large pan de mur quasiment aveugle. Un
pavillon plus éloigné doté de deux fenêtres à sa hauteur par lesquelles il surprend
parfois une adolescente répétant des chorégraphies de boîte de nuit. Aucun
réfugié démuni dans l’angle de vue.
Quand les corbeaux croassent
aux petites heures du jour, c’est une occasion rêvée de s’exercer à l’empathie.
Plutôt que de fermer le double-vitrage, Binh-Dû décrispe son visage (la force
des criaillements éraillés lui a plissé le front) et se met en état de
réceptivité. Il essaie de ne plus penser à ce qu’il ferait s’il avait une
carabine entre les mains.
Avec son voisin c’est une autre
paire de manches. L’organe vocal du voisin offre non moins de puissance mais un
plus vaste registre de possibilités, incluant le chant sous la douche, le rire
au téléphone, sans même qu’il soit nécessaire de mentionner la capacité
d’activer tel ou tel engin sonore à faire trembler les murs. Binh-Dû s’efforce
d’aimer son prochain.