Un nouveau
jour se lève pour les vivants, mais les morts en restent à celui de la veille.
Plus pour eux, ce ciel voilé, la menace d’un orage, ils s’en fichent pas mal de
savoir s’il va éclater ou non. Ils n’en ont pas même connaissance. Le dernier
jour est celui de la dernière référence, à compter de laquelle on peut
commencer à faire à rebours le chemin parcouru. Comme une récapitulation,
quelque chose d’aussi paisible qu’une respiration dans le lit juste avant
l’endormissement, sauf qu’il n’y a plus de volonté pour inviter l’air dans les
poumons, bientôt il n’y aura plus de poumons, plus de corps. Mais la présence
dans l’air perdurera autour des vivants, ils nomment cela souvenir. Ils
regardent un souffle de vent agiter les branches du cerisier, ils éprouvent un
instant le privilège d’en être témoin, car il s’agit bien d’un événement digne
d’une supplique et d’un remerciement. Mais tout est déjà vécu de ce qui reste à
vivre, de même que notre mort – à nous dont les poumons s’emplissent et se
désenflent et s’emplissent à nouveau – est un souvenir à retrouver. Binh-Dû
parcourt dans les deux sens, à son gré, le chemin de sa vie entière, comme on
feuillette un livre aimé. C’est son livre de chevet, augmenté d’annotations au
crayon à papier dans les marges, un jour il le rangera dans la bibliothèque.