Nous allons tous mourir, c’est (presque) entendu. En
attendant nous devinons lesquels parmi l’assemblée réunie n’en ont plus pour
longtemps, semblent déjà d’un ancien temps. Le maître de cérémonie incarne
l’immortalité du rituel, et il y a une grande injustice à cela, car
enfin : d’où le connaissons-nous ? Fait-il véritablement ses
preuves ? Certes il soutient par le bras l’homme à la canne et il veille à
ce que la main tremblante agrippe le pupitre, mais n’aurait-il pas pu disposer
plus heureusement les fleurs ? Pourrait-il cesser de consulter sa
montre ? N’en aura-t-il jamais fini avec ses formulations aussi spécieuses
qu’absurdes – « je vous invite à pouvoir vous approcher » ? En
ce lieu, pouvoir est une option restreinte. Quoique, de ci de là, des tombes
éventrées bâillent aux corneilles, des arbres aux racines puissantes
s’échappent d’entre deux stèles, des cendres sont moulinées sur le gazon, des
paroles définitives sèment l’espoir... « Merci pour les
frites ! » est-il inscrit au marqueur sur une patate.
Nous sommes bien vivants, c’est un bonheur. On se raconte des souvenirs
de vacances, les projets qui nous attendent. On baguenaude vers une tranche de
saucisson. Puis il n’y a plus de « on » qui tienne, et pourtant c’est
le même jour, la même chemise noire. C’est l’amour. Il faudrait tout en
retenir, ou peut-être pas. (Faut-il absolument tout écrire afin de vivre plus
profond ?) Cette rue des cascades ruisselle de canicule plus loin qu’un
souvenir. Cette église de Ménilmontant n’a jamais été aussi imposante dans le
rougeoiement d’un crépuscule. Ces gin-tonics sont ridiculement à l’étroit dans
leurs verres à faux socle. Voilà pour le contexte qui n’est rien à côté de ce
qui s’échange. Parler de cœurs ? De peau si proche, de chevelure, de
regards, de sourires ? De mots et de silences ? Du mulot qui pointe
son museau sur une autre pelouse, tout près des orteils d’une Anglaise plongée
dans sa tablette, et des limaces en procession ? De l’autobus qui apparaît au
son de la flûte pour nous garder d’un baiser ?