mardi 28 août 2018

28 août

Nous allons tous mourir, c’est (presque) entendu. En attendant nous devinons lesquels parmi l’assemblée réunie n’en ont plus pour longtemps, semblent déjà d’un ancien temps. Le maître de cérémonie incarne l’immortalité du rituel, et il y a une grande injustice à cela, car enfin : d’où le connaissons-nous ? Fait-il véritablement ses preuves ? Certes il soutient par le bras l’homme à la canne et il veille à ce que la main tremblante agrippe le pupitre, mais n’aurait-il pas pu disposer plus heureusement les fleurs ? Pourrait-il cesser de consulter sa montre ? N’en aura-t-il jamais fini avec ses formulations aussi spécieuses qu’absurdes – « je vous invite à pouvoir vous approcher » ? En ce lieu, pouvoir est une option restreinte. Quoique, de ci de là, des tombes éventrées bâillent aux corneilles, des arbres aux racines puissantes s’échappent d’entre deux stèles, des cendres sont moulinées sur le gazon, des paroles définitives sèment l’espoir... « Merci pour les frites ! » est-il inscrit au marqueur sur une patate.
Nous sommes bien vivants, c’est un bonheur. On se raconte des souvenirs de vacances, les projets qui nous attendent. On baguenaude vers une tranche de saucisson. Puis il n’y a plus de « on » qui tienne, et pourtant c’est le même jour, la même chemise noire. C’est l’amour. Il faudrait tout en retenir, ou peut-être pas. (Faut-il absolument tout écrire afin de vivre plus profond ?) Cette rue des cascades ruisselle de canicule plus loin qu’un souvenir. Cette église de Ménilmontant n’a jamais été aussi imposante dans le rougeoiement d’un crépuscule. Ces gin-tonics sont ridiculement à l’étroit dans leurs verres à faux socle. Voilà pour le contexte qui n’est rien à côté de ce qui s’échange. Parler de cœurs ? De peau si proche, de chevelure, de regards, de sourires ? De mots et de silences ? Du mulot qui pointe son museau sur une autre pelouse, tout près des orteils d’une Anglaise plongée dans sa tablette, et des limaces en procession ? De l’autobus qui apparaît au son de la flûte pour nous garder d’un baiser ?