De dos par rapport à Binh-Dû qui s’approche, un homme très grand en
long manteau de cuir téléphone en marchant. On n’entend pas encore ce qu’il dit
mais le dessin d’une tête de mort ressort nettement sur le cuir de vache. Le
col est relevé, la nuque de l’homme inclinée, la peau de son crâne est nue. Que
peut bien dire la mort au téléphone, Binh-Dû tend l’oreille : « Ici
tout est tranquille... Tout le monde se connaît... C’est une ambiance de petit
village... »
Voici ce que décrit l’homme d’une voix douce. Au tournant de la rue une
porte de garage privé se soulève dans un chuintement huilé, accompagné du
clignotement rassurant d’une loupiote. Les oiseaux chantent dans les arbres, le
ciel est uniformément bleu. Les dioxydes de carbone et les particules fines
sont à des taux de concentration
remarquablement bas. Un hélicoptère de la gendarmerie tourne
paisiblement ses pales à moyenne altitude.
Binh-Dû se hâte de rentrer chez lui. Il ouvre la fenêtre mais ferme les
rideaux pour se protéger de la réverbération du soleil sur les murs beiges des
bâtiments qui l’enserrent. Ainsi il entend moins la résonance des
conversations Skype du voisin d’en-dessous, lequel n’ouvre jamais ses volets ni
de jour ni de nuit. Quand le voisin sort de chez lui, il veille à rabattre la
capuche de son sweat par-dessus les gros écouteurs de son casque. Mais quoi que nous fassions, nous ne nous pardonnerons pas notre imprévoyance.