Binh-Dû se coule dans la vallée refleurie, il foule au pied les
pissenlits et les pâquerettes. Il y en a des milliers, presque autant que... À
quoi comparer un pissenlit de la vallée de Bièvre sans risque d’être
mièvre ? De loin les pâquerettes forment manteau de neige. Tant et tant de fleurs – pour ne rien dire des brins d’herbe – qu’il
est impossible de ne pas marcher dessus. Elles s’en remettront. Les gens tout
autour, ces non-semblables, ont le pied lourd. Ils sont pour la plupart
indésirables mais cohérents (ce qui devrait susciter un minimum d’admiration).
Il y a toutefois des exceptions, il ne sait plus trop à quoi, l’indésirabilité
probablement : une jeune femme alerte courant d’une foulée leste, on la
suivrait des heures – encore faudrait-il en être capable ; deux garçons qui
jonglent comme s’ils s’y étaient entraînés sur la lune, une petite fille qui envoie
son ballon dans un fourré ; une dame très âgée à la nuque courbée vers le
sol au point de n’avoir plus de visage, elle avance vaillamment en s’aidant
d’une canne. Binh-Dû, sur ses deux jambes, feinte avec son unicité.