Que signifie « rencontrer quelqu’un », se demande Binh-Dû. Il
y a une expression consacrée, riches en sous-entendus, « j’ai rencontré
quelqu’un », ah bravo, félicitations, comme s’il n’y avait pas des
milliards de quelqu’uns à rencontrer de par le vaste monde ; ou au
contraire comme s’il suffisait d’échanger trois mots et une ébauche de désir
avec un(e) inconnu(e) pour prétendre l’avoir rencontré(e). « Tu as rencontré
quelqu’un ? » Formidable, cela me fait bien plaisir, mais est-ce à
cela que se mesure l’ingéniosité humaine, rencontrer quelqu’un, la belle
affaire ! Toujours cette satanée méfiance envers l’autre, qu’entaille à peine la litote du quelqu’un. « Tu
devrais voir quelqu’un », entend-on aussi, mais qui, un(e) amant(e), un(e)
psy, ne pouvons-nous pas nommer un peu plus précisément l’objet de nos
aspirations ? À moins qu’il n’y ait équivalence ? Ou défaut – si nous
ne manquions pas tant d’amour, irions-nous voir un psy ? (Et s’agit-il
vraiment de voir ? Voire même de parler ? De baiser ?)
Binh-Dû a rencontré une femme séduisante, ils sont convenus de se
revoir. Ils parleront, ils boiront un verre chacun à une table de café, des
« consommations », dit-on. Binh-Dû pense qu’il n’y a pas de limites à
son désir de rencontrer de belles personnes sur la planète, il voudrait vivre
éternellement, et continuer de ne pouvoir lire tous les livres et de collecter
autant de joie qu’il s’en présente. Mais aussitôt se rappelle-t-il à la plus
déterminée des lignes de sa main, la tristesse l’assaille, car l’avenir
possible ravive le passé impossible. Rencontrer quelqu’un lui apparaît comme
une cruelle invitation à ne plus désirer que revienne dans ses bras celle qu’il
aimait. La réalité du futur bouscule celle d’hier. Et entre les deux oscille le
présent. Un présent qui « ne se refuse pas », ainsi que le serine
cette fichue pusillanimité langagière... Mais vous n’êtes pas un peu fatigués de
contourner sans arrêt la simplicité – au point de refuser le refus ? Acceptez enfin, soyez affirmatifs ! Conclut-il
provisoirement.