« Ce sont les nouveaux billets de 50 euros ? » remarque
la caissière du magasin bio, « J’ai pas fait gaffe », répond Binh-Dû.
Il sourit gentiment, rassemble ses courses, empoche le change, sort. Comme il
aurait pu se montrer spirituel à partir de cette situation, par exemple
regretter de ne pouvoir parler de son billet au pluriel, ou suggérer que sa
nouveauté lui donne plus de valeur monétaire... À la réflexion, mieux vaut sans
doute qu’il n’y ait pas pensé à temps. Le grand frère de la caissière
n’employait probablement plus l’expression « faire gaffe » quand elle
l’admirait pour sa façon de secouer la tête sur le Smell Like Teen Spirit de Nirvana, ni même son oncle qui doit avoir
l’âge de Binh-Dû, n’a presque plus de cheveux, et s’est moqué quand il a appris
qu’elle rejoignait une coopérative de « bouffeurs de graines ». Auparavant,
Binh-Dû s’était rendu au supermarché, il avait eu la chance d’y croiser cette
autre caissière qui est charmante elle aussi, qui le regarde bien dans les yeux
et lui donne du « Monsieur » avec un zeste de gravité énigmatique
depuis une quinzaine d’années. Elle est devenue manageuse caisses, on la voit
moins souvent. Cette fois ils se sont dit « Bonjour ». Elle a ajouté
« Ça va ? », à quoi il a répliqué « Oui, merci, et
vous ? » Il se souvient encore d’avoir dit « Ben oui »,
mais peut-être était-ce un autre jour.