Dès qu’il y a gare il y a métaphore, médite Binh-Dû sur le quai.
Personne n’est tombé sur la voie, qu’on se rassure. Nulle bombe n’a explosé. Il
ne s’est presque rien passé, d’ailleurs il ne reste plus que Binh-Dû, les bras
ballants, qui regarde l’affichage annonçant le prochain tramway dans neuf
minutes.
Il est le premier maintenant. Il peut se diriger lentement vers le bout
du quai, comme ça il n’aura plus qu’à faire un pas devant lui pour entrer dans
la rame par la porte même où il en sortira, arrivé à destination, juste en face
de la sortie. Tout bien ordonné. Les choses telles qu’elles doivent l’être.
Si le tramway précédent et lui sont arrivés simultanément, cela semblait
de bon augure. Il a remonté à contre-courant le flot des passagers – pour gagner
du temps. Il a voulu entrer dans la rame au dernier moment, la porte était
« réservée à la descente ». La porte suivante l’était aussi et ne
s’est pas ouverte.
Le tramway est parti sans lui. Les amoureuses de Binh-Dû ont tendance à le laisser sur le quai. Lui-même en demande trop, ou tarde à se décider. Un certain sens tragique consiste à idéaliser la suspension du temps, paniquer à la pensée d'une seule minute perdue. Et accomplir in fine un destin contraire.