Alors
qu’il emprunte pour la trois millième fois de sa vie la rue de l’égalité, non
loin de chez lui, qui descend en pente douce vers le boulevard, avec à droite
les locaux d’une agence de publicité et à gauche des pavillons remplis de
chiens, de vieux et de petits-enfants qui viennent le week-end s’asseoir sur la
balançoire du jardin, Binh-Dû est assailli par la pensée que tout ce quotidien
monotone, bien ordonné, égal en
toutes choses, n’a d’autre fonction que de contenir la panique. Du moins la sienne,
qui menace, tel un rendez-vous solitaire face à la télévision.
« Quelle
journée magnifique, cette fois c’est vraiment l’été », s’extasie à
l’attention d’une voisine une femme entre deux âges, venue probablement
insuffler un peu de dynamisme à ses retraités de parents. Suffit-il de dire
pour que soit ? Pour que se restaure l’optimisme des jours prochains ? Binh-Dû
devrait en prendre de la graine au lieu d’identifier sous ces mots un sentiment
de terreur. Nier la peur relève de la politesse, si l’on veut, il serait
peut-être temps de quitter cette ville. Ailleurs, peut-être, le soleil brillerait
d’une illusion moins déchirante.