C’est jour de fête. La plus danseuse des amies de Binh-Dû, en jeune
épousée s’avance cachée derrière un bouquet de roses blanches, et s’autorise à
l’abri des regards une dernière exultation d’enfance avant de rejoindre la
noce. Puis lui aussi quitte la grange et retrouve à l’une des tables dressées
sur la pelouse son amoureuse d’il y a cent douze jours. Quatre lunes plus tôt exactement
ils se voyaient pour la dernière fois avant ce jour, sans le savoir, le compteur
est remis à zéro mais tout a changé d’une certaine façon (et non d’une autre),
est-ce que cela suffira ? Est-ce que cela sera satisfaisant ? Peut-on
s’étreindre à la fin devant une station de métro puis se séparer en souriant
sans qu’un baiser ne soit échangé ? Tout en s’enfonçant dans la forêt,
Binh-Dû médite sur le mieux que rien, les prostituées dans leur caravane ne
dérangent pas sa promenade.
De retour à la prairie où plus rien ne s’impose. Dans cent douze jours,
qui sait où les convives se seront dispersés, combien auront quitté le pays,
emménagé dans un nouveau lieu, commencé une nouvelle vie. Il en faut peu pour
se représenter telle ou telle décision de couple comme un sceau de mariage,
Binh-Dû a toujours détesté les engagements qui l’excluent. Il a rarement le
cœur à lancer du riz. La question du désir semble donc close, quant à celle de l’altruisme,
elle ne s’est tout bonnement pas posée lors de leurs retrouvailles, à moins que
son amie et lui ne l’aient résolue en la passant sous silence. Faisant comme si
le désir n’était pas désespérant, par finalité. Il faudrait donc continuer à
marcher côte à côte jusqu’à ce que la route bifurque, accompagner l’extinction
des signes, et que Binh-Dû reparte s’investir
ailleurs en bon homo economicus ?
Il y a trois attitudes possibles face aux extraterrestres, préfère-t-il
théoriser : la première consiste à se croire l’un deux, échoué sur la
Terre ; la deuxième réfute ce sentiment d’appartenance exilée ; la
troisième identifie chez nombre de contemporains le gêne extraterrestre
envahisseur. Dans le premier cas on est animé des meilleures intentions, on est
gentil, on se sent terriblement seul. Le deuxième cas requiert beaucoup d’espérance ;
c’est une consolation dispensée par un être humain certifié, envers qui
éprouver de la gratitude. Dans le troisième cas nous avons besoin d’alliés car
la guerre est en cours et nous résistons avec peine. L’ex-amoureuse de Binh-Dû
rejoindra peut-être une cellule de lutte autonome. Binh-Dû quant à lui reprendra
son bâton de samouraï. Puisant son courage dans l’orgueil anticipé de ses propres
funérailles.