Ce n’est pas la joie, croit constater Binh-Dû, tant se lever ce matin
lui fut un effort. L’assertion est prophétique, elle ne s’en impose pas moins.
Quelques lunes plus tôt il se riait de la distinction nulle entre se croire
amoureux et l’être. Maintenant, que va-t-il faire ? Glisser du sentiment
de la vieillesse à celui du désespoir ? Se souvenir des
temps bénis, cela se passait ici et cela se passait là, et cela n’a plus lieu
de se passer désormais ? Mais qui voudrait le suivre au fil de ces
considérations méandreuses...
Quelqu’un dans un an lui dira
J’étais là. Tandis que tu te lamentais j’étais tout proche et je n’attendais
qu’un appel de toi. Peut-être n’attendais-je pas avec une telle intensité, mais
j’aurais répondu. Quelqu’un mais qui ? Binh-Dû fait un tour d’horizon
comme on se retourne dans son lit, il n’aperçoit personne. Quelqu’un dans un an
lui dira Je n’étais pas encore là mais sur le point d’apparaître, n’en avais-tu
pas le pressentiment ? Le soir venu Binh-Dû ferme les yeux, il entend
mieux. Il ronfle.