Binh-Dû a des amies d’une générosité maintes fois démontrée. (C’est
d’ailleurs uniquement à lui, doutant de sa propre générosité, que vient cette
notion de démonstration, car rien n’est plus éloigné de leur esprit que l’idée
de faire preuve de gentillesse.) Que
lui passe-t-il par l’esprit, à cette femme également drôle et intelligente (bien
entendu, Binh-Dû se flatte lui-même en soulignant la valeur de ses amies), il
ne le sait pas trop, en-deçà des sujets de sa conversation. Par exemple, elle
ignore ce qu’est le congre. Binh-Dû n’en sait guère plus, si ce n’est que cela
se pêche dans les rochers bretons. Il en mangerait bien un filet. Et l’amie
dans son assiette à lui en goûterait une fourchetée. Seulement il n’y a plus de
congre, un pavé de saumon braisé ferait-il l’affaire ? Oui, répond-elle au
serveur, avant que Binh-Dû n’acquiesce.
Plus tard, au moment de choisir
un dessert, l’amie lui propose – tropisme si parisien – d’en prendre
un pour deux, elle est tentée par la tarte à la rhubarbe. Binh-Dû quant à lui
n’a pas vraiment envie de dessert et pas du tout de rhubarbe. Tu es sûr que tu
n’en prendras pas une cuillère ou deux ? Binh-Dû est certain de ne pas
aimer la rhubarbe, au final la tarte restera sous sa cloche. Il se demandera
s’il n’aurait pas pu faire un petit effort. Elle est contente de l’inviter. Ils
sont contents de se revoir, depuis tout ce temps qu’elle vit à Londres. Sur le
trottoir un clochard titube et s’effondre. Binh-Dû décide que l’homme est saoul,
l’amie serait davantage disposée à intervenir. Le long de la file d’accès au
train, un panonceau avertit, dessins à l’appui, que les bombes ne sont pas
autorisées à bord, même datant de la Première guerre mondiale.