La hype est de toutes les
époques, pense Binh-Dû en regardant un film sur la guerre de 14. On sortait des
tranchées si l’on avait de la chance, et la hype,
on l’observait dans les cabarets de Paris nec
mergitur – de loin, même à portée de corps, de loin définitivement parce
qu’on était traumatisé jusqu’en ses tréfonds les plus inatteignables.
La hype, ça se regarde de l’extérieur et ça pleure en dedans. Il y a
des femmes aux seins dénudés, il y a des yeux qui brillent, des sourires, des
envols de tissus et de chevelures. Le voisinage réprouve, préférant l’ordre et
la vertu. La hype était là avant,
dans les années dites folles, elle date de cent ans, de mille ans, des sabbats
dans les grottes.
On s’y accole, on s’y étreint,
elle sera là entre deux guerres, toujours en attente de la suivante. On y sera
nantis – mais les frais sont élevés. À Saint-Germain-des-Prés les trompettes
répercutent leurs appels contre des murs concaves, dans les usines désaffectées
le beat martèle les organes, en haut
des tours de verre les paillettes scintillent et la poudre éblouit.
Dans les veines coulent l’alcool
et d’autres substances, et la soif d’amour, Binh-Dû se souvient, là tout est
permis pourvu qu’on reste entre nous, entre personnes de bonne compagnie,
dotées d’un minimum d’éducation. Riches aussi, ou qui savent se vendre avec la
manière. La hype est un état
d’esprit. L’amour est un tabou qui nous trompe tous, reste la soif.
Dans les rues, au pied des
immeubles, on a sorti des tables. Des gens discutent, un gobelet publicitaire à
la main. Certains portent des tee-shirts floqués comme leur gobelet. Des
ballons de baudruche insistent à mi-hauteur, voisins, c’est la fête !
Déposez votre gâteau sur la nappe à côté des bouteilles de soda. Le temps se
rafraîchit un peu, non ? Mais il ne pleut pas, on ne va pas se plaindre.
Les zombies d’ordinaire
claquemurés ont élargi leur périmètre, avec une audace qui les étonne
eux-mêmes, on continue à surveiller les enfants du coin de l’œil. Des fois
qu’il y aurait dans les parages de faux voisins ou des voisins indésirables. On
fait assaut d’amabilités, d’humour pleutre ou matamore, on étale sa bonhomie ou
sa perspicacité.
On a beaucoup à montrer et à
dire, ça bavarde sans temps mort, ça mâchouille, ça avale, ça hausse le ton
pour se faire entendre au milieu des autres conversations et des rires. Ça pue
l’intégration. Pense Binh-Dû qui s’en revient de la guerre. Là-bas, les bombes
que fabriquent ses voisins éparpillent des morceaux de chair et d’os. Ici, les exilés
dorment dehors.