Un suave parfum accueille Binh-Dû alors qu’il passe le seuil séparant
la chambre de la cuisine. On dirait que des fleurs ont poussé chez lui durant
la nuit mais rien de tel sur l’inox ni sur les tommettes, pas plus que dans les
placards. Il va humer l’air de la cour sur le balcon (nulle jardinière, c’est
entendu), les arbustes ne répandent que leurs couleurs. Il retourne dans la
cuisine, suit plus résolument son nez et se retrouve à genoux devant la
poubelle. Quel arrangement subtil mêlant peau de banane pourrie, graines de
tomates, noyau d’avocat, citron éreinté, pelure d’échalote... N’en jetez plus, la
coupe est pleine !
De retour dans la chambre, il ferme les rideaux pour éviter
l’éblouissement du soleil, bientôt les volets contre la chaleur, puis la
fenêtre contre le bruit. Ce sera une journée de travail à ne pas mettre davantage
le nez dehors qu’il ne vient de le faire. Dans sa chambre l’attend un monde aseptisé
parfaitement ordonné sur son écran d’ordinateur. À l’extérieur on ne sait
jamais qui l’on va rencontrer. Et pourquoi faire ? Pour quoi subir ? rectifie Binh-Dû qui s’imagine parfois que ses propres détestations
ne sont pas de son fait. Entre les zombies, les crétins hostiles et les exploiteurs
cyniques, il a le choix des paranoïas.