Est-il mal
parti, ce couple qui s’embrasse à côté du container de recyclage ? Binh-Dû
les effleure du regard avant de se concentrer sur la chute fracassante de ses
bouteilles et bocaux. Une ombre solitaire vient se poser sur son épaule, c’est
la femme méchée de blond, il la regarde mieux à présent, ainsi que son mari
barbu de loin en bermuda, elle a une question. Suivie d’autres, tout aussi
assommantes, s’il habite dans le quartier, entend-on le passage des trains, y
a-t-il d’autres nuisances, fait-il bon vivre ici ? Car ils prévoient
d’acheter. De Binh-Dû ils sollicitent l’avis, lui dont on pourrait se demander,
vu ses cheveux gras et son tee-shirt troué,
s’il ne ferait pas mieux d’aller chercher de quoi s’habiller dignement
en fracturant un container à vêtements. Forcément les trains on les entend si l’on
habite en face de la voie ferrée, et tout dépend de ce que vous appelez par
nuisances, la gentrification est-elle une nuisance selon vous, ou les logements
sociaux, et les antennes-relais, et la laideur des bâtiments, et le croassement
des corbeaux, et les crottes de chiens malades, et l’avenir matrimonial ?
Et les hélicoptères, vous avez pensé aux hélicoptères ? Eh non, il a
touché juste, le barbu hoche la tête. Ce qui tendrait à prouver qu’on a raison
de poser des questions idiotes aux mauvaises personnes. Ce qui pourrait
constituer un enseignement précieux pour la manière dont Binh-Dû conduit son
existence. Il n’y a pas de délinquance, c’est un bon quartier, termine-t-il
lâchement. Les électeurs bourgeois qu’il conchie lorsqu’il se rend à l’école
maternelle ne se seraient pas mieux rattrapés. Au plaisir de vous revoir,
n’ajoute-t-il pas, il y a des limites au bon voisinage. Dans la cour une moitié
de cadavre d’oiseau suppose qu’on l’enjambe, laissée là sans doute par un chat.
Binh-Dû balaie la chose au moyen d’une publicité pour une entreprise de
serrurerie d’urgence, en fait c’est une tête de poisson grillée au barbecue.
Tombée du bec d’un oiseau sans doute. Ce quartier est cruel. Si Binh-Dû
possédait un fusil, il aurait du mal à se retenir de dézinguer un corbeau, un
chat ou un hélicoptère.
(Précision conjurative, ceci n’est pas une incitation au terrorisme urbain. Ne
tirons pas sur les hélicos. Protégeons les oiseaux, même les corbeaux, sans
pour autant tuer les chats. Et ne négligeons pas la douleur du maquereau.)