lundi 28 mai 2018
28 mai
Binh-Dû
s’est pris le pied dans la quadrature du cercle des expectatives, ça fait un
mal de chien ! Il claudique dans les rues, il lui faudrait un bâton en
roue de secours ou bien une queue préhensible pour se tirer de là, un réverbère
pour se repérer. Il se sent comme un
vieux, un singe, un animal de compagnie dont personne n’aurait envie de
s’encombrer. (La nuit il lui poussera des ailes et il survolera des plages
familières, des pins penchés, des bancs de sardines, ce sera puissant.) S’il
était un singe il pourrait lécher la plante de son pied douloureux pour qu’y
germe une guérison instantanée, même il deviendrait prodigieusement intelligent
à son jeu de cubes. S’il était un chien il s’habituerait vite à marcher sur
trois pattes et même à une solitude faite de poils hérissés, de grondements
caverneux et de gémissements menaçants. Il serait opportuniste jusqu’à
l’absurde, le vieux comprendrait parfaitement tout cela dans la pénultième
étape de son intelligence, au stade où le délitement des connexions laisse
place à une forme intransmissible de sagesse. Lorsque l’ombre tombe dans l’abîme.
Tel est le vertige que pressent Binh-Dû bien avant la nuit, savoir compter
jusqu’à cent c’est pouvoir se représenter sa mort. Une cent-unième nuit serait
bienvenue.