Un jour Binh-Dû
sera gâteux et il se souviendra, comme si c'était hier, des peluches avec
lesquelles il s’endormait lorsqu’il était enfant. Non seulement d’elles mais du
sentiment qui l’étreignait alors, celui d’une absolue sécurité. Dans son
pyjama, dans son lit, dans sa chambre, dans sa maison. Avec ses parents qui
veillaient non loin. Dans cette ville pleine de promesses, ce pays, ce monde si
vaste et si beau. Il se souviendra peut-être aussi de ses terreurs, qu’il
n’avait pas encore domestiquées. Prêtes à se rebeller, fatales. Non, ce ne
sera pas si simple.
Les aboiements
d’un chien au lointain réveillent Corpus, sans lien apparent de cause à effet.
On dirait juste qu’il ouvre les yeux et s’étonne de se trouver allongé là, sous
le couvert de feuilles de palmier qui frémissent doucement dans la brise. Il a
l’air un peu stupide, comme s’il essayait de se souvenir de la différence entre
palmiers et cocotiers. Quand il se redresse sur les coudes il voit le sillon
qui mène de sa couche à la barque échouée sur le sable. Nulle trace d’Alma. Il
se laisse retomber, passe la langue sur ses lèvres craquelées. Étonnamment il
n’a pas soif.