La neige tombe
sans bruit et sans grande conviction. Elle s’en ira dès qu’elle aura cessé de
tomber, mais on dirait aussi qu’elle n’en finira jamais, que c’est le ciel tout
entier qui est de neige, sur des strato-kilomètres d’épaisseur. Il n’est pas
aisé non plus de mesurer la solitude qu’un autre que soi ressent. On n’est
jamais dans cette solitude-là, par définition. Lui-même, où se trouve-t-il dans son excès d’être ? Et
que dit-il quand il proteste Cela ne
pourra pas être pire ? Binh-Dû se fait des idées, il envisage
que contredire l’affirmation soit du registre de la parole réconfortante. Cela
pourrait être bien pire, réjouis-toi !
Dans le doute le voici, toujours occupé, toujours quelque chose à faire, réparer un
piano, rétablir l’électricité, sortir une voiture du fossé avec le tracteur. Il
est habillé n’importe comment, il ne retrouve pas sa chaussure ; on lui
fête son anniversaire par erreur ; la nuit le surprend en pleine forêt
avec une pelle. Il voudrait connaître les phrases magiques, celles qui
permettent à l’âme de saisir enfin la vie à bras-le-corps. Il voudrait chaque instant aspirer au changement, animé d'une ludique insatisfaction. Et il passerait du chant à la parole et de la parole au silence, sans besoin de se trahir, de se croire ni de se définir.