Il court toujours, le chien, malgré son ventre ouvert. Seul
un morceau de boyau dépasse, d’entre deux muscles rouges. Et Binh-Dû est convié
à une danse importune, impossible de refuser, ils sont tous venus en son
honneur. Il passe de bras en bras. Il est le centre de l’attention. S’il avait
su, il n’aurait pas enfilé ce pull gris (et le petit trou de cigarette près de
l’encolure, l’ont-ils remarqué ?), il se serait lavé les cheveux, il se
serait composé une attitude, à tête reposée. Au lieu de ça, il ne sait plus où
donner. Où s’est enfuie celle qui l’attendait. Est-elle partie pour ne pas
déranger ? S’est-elle imaginée qu’elle déparait, qu’il avait mieux à
faire, que ce n’était pas le moment ? Dans les vastes salles du palais il
court à sa recherche. Chaque rebond de ses pieds sur le sol semble lui déchirer
quelque chose à l’intérieur, une fibre après l’autre. À coup sûr il y aura un
point de non-retour, de dislocation définitive où il s’effondrera sans pouvoir
se relever. Des mains compatissantes se tendront vers lui. En tas par terre il
sentira encore qu’il respire, chaque prise d’air un sanglot, chaque souffle une
larme. Il fermera les yeux. Il priera pour un meilleur réveil.