Binh-Dû avait cessé de
compter les jours, il y en avait trop, il y en eut cent-cinquante-neuf. Il
ne s’en serait pas douté, au déclenchement du chronomètre. Elle non plus, celle
qui était amoureuse un peu, beaucoup, trop. Mais voilà, arrive ce jour où ils se
retrouvent, elle gravit les quelques marches qui les séparent, c’est très
cinématographique mais l’idée tacite est de n’en rien révéler aux témoins ni à
eux-mêmes, il lui tend un billet d’entrée, ce serait très symbolique mais ils
n’ont pas le temps de s’y arrêter, déjà la sonnerie du dernier appel retentit.
Ils prennent place. Ils écoutent, regardent, applaudissent, ils
rejoignent des amis de Binh-Dû au café, qu’il n’a plus vus depuis... trois cents
jours ? Davantage ?
La vie
ordinaire, ce serait cela, de loin en loin se voir, se reconnaître, se
rassurer, sans paniquer à la pensée du peu d’occasions qu’il reste de se
témoigner un amour mutuel. Car on imploserait sinon, ces instants ne pourraient
contenir autant d'intensité. Binh-Dû et son amie repartent dans le vent et la
pluie, ce serait très romantique s’ils se rapprochaient pour se tenir chaud.
Dans la chambre où il choisit leur sachet de tisane, ils parlent doucement pour
ne pas réveiller la voisine. Ils ont toujours des choses à se raconter, qu’ils
ne confieraient pas à d’autres. C’est unique. Je ne suis que singulière, corrige-t-elle quand il parle d’exception.
Ils sont faits de la même souffrance. Ils se comprennent si bien. Et pourtant
non.