Sauf que la force des habitudes rejoint celle des inerties. On
commémore des aplatissements en fond de tranchée, des baïonnettes déchireuses
d’utérus, des proclamations ronflantes qu’aucune divinité du tonnerre ne
s’abaissera à anéantir, jamais, jusqu’à ce que la Terre elle-même se
révolte ? Alors elle nous régurgitera et nous pataugerons dans nos regrets
amers, éternellement ravalés. Comment pourrait-elle supporter indéfiniment les
blessures infligées, arbres arrachés, implants métalliques, acides
infusés ? L’eau gâtée, l’air asphyxié ? La Terre se souviendra.
Et Binh-Dû ferait bien de croire à la mémoire du corps. Le sien,
porteur d’autres mémoires, voire de mémoires rêvées. Ses membres répondent
instantanément à ses désirs enfouis, le propulsent au-dessus de la mêlée. Un
chatouillement aux extrémités dessine la carte sensationnelle de sa puissance.
Ne reste plus qu’à redescendre. En bas attendent d’autres assoiffés, encore
emberlificotés dans leur duvet. Le corps sait comment s’extraire, la tête, un
bras puis l’autre, et le reste suivra. À la fin la bouche s’entrouvre, la
langue cherche le sein.