Les averses
tombent et remontent, lavant le ciel. Ces rues étaient le territoire d’un ami que Binh-Dû a connu et qui est mort. C’est insensé de se souvenir à quel point
il était vivant en un temps toujours à portée de main (suffit qu’on se retourne).
La continuité du temps de Binh-Dû ne saisit pas ce phénomène. Un peu plus loin,
un séquoia multicentenaire déborde sur le trottoir. Comme un gros homme alerte
qui prendrait de plus en plus en plus de place, impossible à ignorer, compliqué
à contourner. Les premiers avions de France, paraît-il, se repéraient à sa
hauteur déjà imposante – les aviateurs ne sont plus là pour démentir la
légende. Binh-Dû se faufile dans les passages étroits en jouant des épaules. Il
laisse passer un motocycliste vêtu de vache tannée, dont la bonne amie enserre
la taille. Quelques mèches s’échappent du casque. Depuis qu’il s’est coupé les
cheveux, Binh-Dû n’attire plus le sourire des femmes. Mais il se sent moins
ridicule, a-t-il gagné au change ? Il lui semble avoir rajeuni du scalp,
ce qui confère un air étrange ; à son approche, les oiseaux qui piaulaient
dans l’épaisseur d’un feuillage persistant subitement se taisent.