Les contrariétés
s’accumulent comme autant de contretemps, autant de façons de différer
l’inéluctable. D’aucuns définiraient de la sorte l’existence, mais ce n’est pas
le genre de Binh-Dû. Il s’engage dans une voie à sens unique qui l’envoie à
perpète ; il cherche sur le trottoir un bout d’oreillette qu’il a perdu en
marchant ; il casse une molette ; son ordinateur rame à télécharger
une vidéo ; il a entrepris de se couper les cheveux avec des ciseaux qui ne
coupent pas ; il a oublié de prendre de quoi noter. Et bien sûr il est en
retard.
De toute façon il
ne sera d’aucune utilité là-bas, sauf à révéler son incompétence : il n’a pas
même mémorisé le nom des invités. Il donnera le change une minute tout au
plus, avant qu’on l’excuse et le relègue dans les combles. Où il hululera, la
nuit, quand tout le monde sera parti. Ça le tiendra éveillé, ce bruit. Il
pourra méditer, les yeux fixes, sur l’avènement de la crétinerie universelle. Personne
ne le sollicitera plus, ils seront tous occupés à réduire l’incertitude, tandis
que lui, enfin ignorant de ses devoirs, aura achevé sa mutation.