Les portes grincent au son de la perceuse. Les doubles vitres se
rapprochent l’une de l’autre. Le réfrigérateur se tait. Non loin de là, les
péniches regardent par-dessus les ponts pendant que le fleuve rabote les berges
de l’île. Il n’y a presque pas de vent, on a le droit de marcher sous les
arbres. Mais les sentiers sont boueux, ce qui justifie un confinement sous
rubalise – des fois qu’un promeneur procédurier tacherait le bas de ses
pantalons. Les premières jonquilles ont épanoui leur bourgeon, de mémoire
d’homme vivant l’hiver n’a jamais été aussi chaud.
Binh-Dû fourre des vêtements
dans la benne installée à cet effet, sans qu’il y entre beaucoup
d’altruisme. Y disparaît une parka qu’il portait alors qu’il était moitié plus
jeune, alors qu’il aurait hurlé d’angoisse à l’idée qu’elle le suivrait tout
le temps de sa vie déjà vécue. Il apporte à la pharmacie un sac plastique en
voie de désagrégation rempli de médicaments périmés. Il enlève les toiles
d’araignée du plafond. Là, juste au coin vers où dérive son regard quand il
cherche un mot. Il secoue une écharpe incrustée de poussière, l’hiver n’a
jamais été aussi doux.