Dans les villes
nous piétinons la lymphe de la terre – et sans même d’allégresse. Nous
ratiboisons les arbres qui filtraient nos fumées. Nous farcissons nos cerveaux
de gras – comme s’ils n’étaient pas déjà assez spongieux ! Nous
accomplissons mille miracles aussitôt dédaignés. Nous nous grattons la peau
sans nous demander pourquoi ça gratte. Nous oublions nos anciennes bonnes
habitudes, remplacées par des succédanés – personne n’y gagne au change. Nous
nous lamentons de même que nous rions, par commodité. Nous fuyons de toute
part.
Corpus et Alma
sont en passe d’atteindre le fleuve. Alma marche devant, la proue de la barque
retournée lui fait comme un casque sur la tête, tandis que Corpus porte la
poupe aussi bas que possible, au bout de ses bras immenses. Il marche de biais,
un peu voûté. Ça y est, ils sont arrivés. Ils vont pouvoir mettre des méandres
entre eux et les affamés, d’ici peu rejoindre l’estuaire et de là disparaître
derrière l’horizon. Binh-Dû a-t-il un commentaire à faire ? Une
prédiction ? Attend-il sur le ponton où tout n’est pas aussi simple
qu’espéré ?