Si déjà Binh-Dû n’existe pas, l’âme de Binh-Dû est son être libre.
Elle va de-ci de-là, se pose, repart, oh regarde l’oiseau ! Mais non,
c’est une tortue... Sur l’âme, le temps n’a pas de prise. Elle n’a la nostalgie
ni de ce qui fut ni de ce qui ne sera pas. Elle observe des photographies de
famille comme elle survolerait des champs cultivés de couleurs différentes (ou
des fonds marins). Tous ces gens sont en passe de disparaître des mémoires,
même leurs regrets prêtent à sourire. L’avenir s’accomplit par l’égalisation.
Que dire, sinon, à cette femme qu’on
aimerait longtemps ? Vis ta vie ? Non. La veille de son mariage,
alors que, désespérée, elle lancerait des regards rassurants tous azimuts,
l’ami de toujours la prendrait entre quatre-z-yeux et lui dirait désagréablement Jusqu’à présent je t’admirais, je crains
désormais de te plaindre. Il lui dirait Il
n’y pas lieu d’être reconnaissante pour le désir qu’on te témoigne. Puis Tu ne dois pas abdiquer tes rêves. Enfin : Ose mériter mieux. L’âme de cette femme applaudirait des deux
ailes.
Binh-Dû passe d’une photographie
à une autre. Sur certaines il croit reconnaître des non-dits qui le touchent
comme un impossible frôlement. Sur d’autres, il se sent porté au pardon. L’album
n’est pas le sien ni celui de ses parents, aucun album, nulle collection
d’images n’appartient à quiconque. À la fin, même le mot « pince »
devra être exhumé du tas de linge sale ; il produira un son rouillé. Le
legs, comprendra-t-on, pèse le poids d’un âne mort qui aurait beaucoup marché,
mieux eût valu découvrir un chemin neuf.