Oh les ironies méchantes ! Il sera question de biographies. Un
volcan meurt, un autre renaît, que dire de celui qui ne sera pas né ? Binh-Dû
examine son parcours entre les cratères, de ci de là il ramasse un caillou. Des
biographies de son vivant à lui, il pourrait en rédiger une dizaine, et elles
auraient chacune l’apparence de la vérité. Des mensonges, il pourrait n’en
inscrire aucun, et pourtant personne ne lui ferait crédit. Merveilleux, qu’il
raconte donc ce qui lui chaud ! L’ironie n’est pas ici, la sale ironie précipitant dans la mort un homme qui n’accordait pas d’importance aux états de
service pourvu qu’on lui procure de quoi se représenter d’autres destins, un
homme qui faisait profession de sa propre pudeur. Celui qui est mort n’est pas
celui qui demande à Binh-Dû une biographie anecdotique. Il faut changer le
fusil d’épaule. Accommoder les restes. Alors voilà, Binh-Dû est né, il a
grandi, il a fait ceci et cela, on dirait un long fleuve où l’on ne se baigne
jamais deux fois tout en sachant parfaitement où l’on va. Pas à la mort, jamais
de la vie ! On va de l’avant, en bas de notice sera inséré un lien furtif.
Mais auparavant, qu’on nous accorde un moment d’affliction. Et nous écouterons ce cœur immuable battre à nos oreilles.
[merci à Paul Otchakovsky-Laurens]