Il faudrait être un père Noël. Mieux qu’un magicien, quelqu’un qui
apparaîtrait dans votre vie pour exaucer des désirs inimaginables. À en
pleurer, c’est-à-dire que vous pleureriez et que Binh-Dû pleurerait avec vous.
Là il serait content. Pour l’heure, il contemple une escalope de dinde mise à
décongeler, le film plastique qui la protégeait a laissé sur la chair des rides
prononcées, on dirait une plante de pied, d’un nourrisson ou d’un vieillard. Un
magicien la transformerait en ce qu’elle était vraiment, et elle s’envolerait
par la fenêtre.
Mais tout le monde ne désire pas voir des oiseaux bien découpés
reprendre forme et vie, tout le monde n’a pas la nostalgie du père Noël,
certains ont même horreur des magiciens, des clowns et du théâtre de guignol.
Ou c’est plus subtil : le désir est non pas tant de soigner l’autre que
d’éveiller son propre pouvoir de guérison. L’idée serait d’être suffisamment
guéri soi-même pour pouvoir aider l’autre à se guérir. Son pas suspendu mène
Binh-Dû le long du canal, où il discute de tout ceci avec une amie déterminée.