Ce serait un
entêtement progressif, disons la comptine des dix petits scouts. Le premier a
noué son foulard de travers. Le deuxième porte de grosses lunettes. La
troisième a l’air de s’excuser – Binh-Dû lui pardonne. La quatrième ressemble
sûrement à sa mère, dans sa jupe plissée. Le cinquième... Mais qu’est-ce que
c’est que cette invasion ? S’il n’y en avait que dix, passerait encore,
mais il y en a partout de par la ville, en groupes de deux ou trois. En plein
apprentissage de la mendicité, et les braves gens s’arrêtent, leur donnent la
pièce, repartent avec un calendrier obscène – des scènes paramilitaires et
souriantes. Sans doute les chefs pubères des scouts appellent-ils cette
opération une collecte de fonds pour leur paroisse, peut-être tiendra-t-elle
lieu d’initiation à la vente – et les parents seront rassurés d’entrevoir ainsi
le potentiel marchand de leur progéniture. L’affliction gagne Binh-Dû face aux
enfants-soldats en uniforme. Les treizième et quatorzième, galons de chefs sur les épaules, ont presque l’âge
des combats réactionnaires, un petit garçon s’immobilise, épanoui d’admiration
pour les insignes et les chemises marron bien repassées. Binh-Dû sent l’indulgence
qui l’abandonne, c’est alors que le bambin l’aperçoit, lui le métèque,
débraillé, échevelé, à l’air mauvais ; son petit visage se décompose d’un
coup, tout juste s’il ne se met pas à pleurer.