Muni de son badge, Binh-Dû traverse d’un pas princier les salles du
palais, il dévale les escaliers de marbre, franchit les portes coupe-feu, pour
un peu il se sentirait chez lui dans les toilettes. L’eau jaillit en réponse à
l’arabesque de sa main – car ce n’est pas seulement le badge qui fait sa
noblesse, mais également l’élégance de ses gestes. C’est bien simple, on le
prendrait pour un danseur.
Du moins il s’y croirait. Passées les lourdes portes, la foule des gens
ordinaires attendent de pouvoir entrer, leurs sacs prêts pour l’inspection. Une
formalité dont il fut dispensé à son arrivée, après qu’il a coupé la file. À
la sortie, direction la crêperie il pleut, les danseurs ont enfilé leur
doudoune et leur bonnet tandis que lui parade encore dans sa chemise de soie.
Aucun geste ne suspend la pluie.
Et l’emmental enflamme son palais. Binh-Dû serait aussi bien celui qui
porte la cloche dans des mains gantées de blanc, ses pieds glisseraient sans
bruit sur la pierre, son buste et son cou s’inclineraient avec déférence. La
chorégraphie alors cesserait d’être inventive annonciation du prochain risque
pour se figer dans la conservation. On mangerait ses crêpes comme dans un musée,
perclus par l’effort. Brrr !