Binh-Dû
l’aurait aimée à tout âge, il y a des êtres comme cela. L’instinct maternel
implique peut-être de se projeter de l’autre côté du temps, passé le rebord, et
de contempler son enfant devenue vieille personne, en fin de course. Pour
l’heure c’est une petite fille qui ne veut pas lâcher la manche de son père.
Plus tôt elle souriait dans son berceau. Plus tard elle se tiendra à l’écart
des jeux des autres enfants. Puis des hommes la désireront follement, elle
aussi peut-être... désirera ceux qu’elle aura choisis. Ainsi de suite, jusqu’à
la grande vieillesse. Et à tout moment Binh-Dû, dès le premier regard l’aurait
définitivement aimée. Ce fou, regardez-le toréer une voiture, éviter d’être
éborgné par la pointe d’un parapluie, se glisser dans le passage fugitivement
dégagé au milieu d’un couple las. Puis chez lui écouter le son de la pluie sur
le toit. Par moments le vent monte en intensité au point de bousculer les
portes de sa chambre. Pourquoi résiste-t-il encore ? Qu’a-t-il appris sur
la puissance, sa propre puissance, le danger du trop ? Dans quelle vie
s’est-il fourvoyé, et quelle autre, ignorée, se ravive-t-elle au creux de la
contention d’un fauteuil de cinéma, pénombre entrelardée de simulacres, cris du
cœur blessé, récompensé, sublimé ? Le ciel n’en a cure.