Binh-Dû
voudrait plus qu’il ne veut bien l’admettre. Quand il marche le long d’une
autoroute et qu’il lui semble, à observer la position du soleil, avoir manqué
une bifurcation, il ne continue pas d’avancer sans remord. Les peintres
moralistes parleraient même de repentir, mais ils disposaient de toute une
batterie d’instruments poilus ou non pour rectifier les apparences d’une
réalité. Binh-Dû quant à lui se retourne du côté où une femme sans doute lui a
été ôtée, cela le meurtrit comme un membre fantôme, où s’en est-elle
allée ? Il peut aussi reprendre son vol par-dessus les cratères, libérer
qui de droit sur une île perdue, faire flèche de tout bois et ne rien sentir
sous les coups de glaive. La barrière du péage se lève pourvu qu’on lui donne
une légère impulsion, sinon il y a toujours moyen de la contourner. Aucune
réalité n’est fiable. Telle est la grandeur du dérisoire, un jour c’est à
nouveau la fin de l’été, la veille on entrait dans le cœur de l’hiver. Binh-Dû
ajoute un bâton après l’autre, liés par fagots de cinq, espérons qu’il aura
toujours la vigueur de craquer une allumette. Ses jambes à terre comme des
branches mortes, le cou tendu vers la hache. Sur la table, un gâteau aux
saveurs d’écorces et d’amandes invite à la joie.