Binh-Dû marche dans la forêt, il ne s’y passe pas grand-chose d’autre.
On y est comme dans une maison froide, à bonne distance du ciel. S’il n’y avait
plus de ciel, ce serait pareil. Les animaux aussi ont été retirés, ainsi que
les feuilles sur les arbres caducs. Nul oiseau ne chante, pourtant ce serait
joli. Son appel égaierait l’atmosphère. Parfois ça grimpe, parfois ça descend, le
cœur bat plus ou moins vite, la respiration de concert. Rien de très
remarquable au demeurant. Il faudrait une présence autre pour remarquer quoi
que ce soit.
Au même instant ou à peu près, dans la rue où se trouve la maison de
Binh-Dû, un oiseau très mélodieux lance son chant depuis l’un des deux arbres
encore touffus. Il se pourrait même qu’il y ait un oiseau par arbre. L’an passé
à la même date ils avaient tous disparu, non ? Les souvenirs sont des
hallucinations temporelles, à chaque fois que l’un d’eux se constitue le temps
s’arrête et avec lui une part de soi, en attente, et un beau jour, peut-être
des décennies plus tard, on croit pouvoir reprendre le cours de cette part
figée. Plus sage serait de s’en défendre.